“En tant qu’Église, nous avons honte de cette souffrance infligée”: Mgr Cosijns devant la Commission d’enquête parlementaire


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“En tant qu’Église, nous avons honte de cette souffrance infligée”: Mgr Cosijns devant la Commission d’enquête parlementaire
Par La rédaction
Publié le
7 min

Ce vendredi 9 février 2024, la Commission d'enquête de la Chambre, chargée d'enquêter sur la gestion des abus sexuels dans l'Église et ailleurs, se penche sur le mécanisme d'arbitrage par lequel les victimes de faits prescrits devant la Justice peuvent encore être entendues, reconnues et recevoir une compensation matérielle. Parmi les personnes entendues figurent Mgr Herman Cosijns, ancien secrétaire général de la Conférence épiscopale, et Manu Keirse, président de la fondation Dignity.

Au nombre des personnes entendues figure notamment Mgr Herman Cosijns, qui a été secrétaire général de la Conférence des évêques de Belgique de 2011 jusqu'au début de l'année dernière. Il a été étroitement impliqué dans la rédaction de l'arbitrage et est membre de la fondation Dignity, qui agit au nom de l'Église en Belgique comme organisme central pour les victimes.

👉 Lire à ce sujet : Feu vert pour la commission fédérale sur les abus sexuels

Rencontre avec des centaines de victimes

Herman Cosijns s'est entretenu avec des centaines de victimes et a témoigné devant la commission parlementaire de cette expérience particulièrement éprouvante.

Mgr Cosijns : "En tant qu'Église, nous avons réellement honte de cette souffrance infligée. Pour beaucoup, ce fut un soulagement que l'Église croie aux faits et reconnaisse leur souffrance. Car telle était notre mission principale : reconnaître la souffrance des victimes et présenter des excuses au nom de l'Église. Nous avons reconnu que des membres de l'Église avaient commis des délits graves et odieux. Reconnaître les faits avec nos excuses et une compensation financière, c'était la manière pour l'Église d'assumer sa responsabilité morale dans cette souffrance. (...) Ces rencontres m'ont appris que les abus sexuels marquent toute une vie. Les victimes les portent en elles tout au long de leur vie. Pour la plupart, il s'agit d'une douleur cachée et d'une blessure qui ne guérit jamais".

628 signalements à l'Arbitrage

Herman Cosijns a également donné plus de détails sur les 628 signalements à la Commission d'arbitrage (en plus des 686 signalements aux points de contact de l'Église ; les coordinateurs ont témoigné à ce sujet lundi dernier). Au total, les signalements proviennent de 493 hommes et 135 femmes, dont 449 néerlandophones, 178 francophones et 1 germanophone. Il s'agissait principalement de plaignants âgés de 50 à 80 ans à l'époque. 507 victimes ont reçu une compensation financière.

Les autres ont renoncé à leur déclaration ou il y a d'autres explications : par exemple, il ne s'agissait pas d'un prêtre ou d'un religieux auteur de l'abus, les plaignants sont décédés pendant la procédure, 43 ont été indemnisés ailleurs, principalement auprès des points de contact, ou bien il s'est avéré en fin de compte qu'ils n'étaient pas victimes d'abus sexuels. 482 demandeurs ont signé un protocole de conciliation, 22 ont opté pour un protocole "ad hoc" dont le montant sera versé lorsque les preuves de la prescription seront établies.

Lutte de l'Église contre les abus sexuels dans une relation pastorale : 1997-2024

Herman Cosijns a aussi expliqué les nombreuses initiatives prises par la Conférence des évêques pour mettre fin aux abus dans un contexte pastoral, en particulier depuis 2012.

Il s'agit notamment des dix points de contact de l'Église, du code de conduite pour les personnes travaillant dans une relation pastorale (cadre professionnel et bénévoles), de l'examen minutieux des candidats prêtres pendant leur formation de huit ans, des journées d'étude obligatoires pour toutes les personnes nommées dans l'Église, souvent avec la coopération active des survivants. Rien que dans les huit diocèses belges, plus de 60 de ces journées d'étude ont eu lieu depuis 2012.

👉 Retrouvez ici : Un aperçu complet de toutes les initiatives prises par l'Église dans la lutte
contre les abus sexuels dans le cadre d'une relation pastorale

📸 Sont auditionnés ce vendredi par le commission d'enquête parlementaire : Patrick Degrieck, prêtre et canoniste (à gauche), Manu Keirse, président de la fondation Dignity (au centre) et Mgr. Herman Cosijns, ancien secrétaire général de la Conférence épiscopale de Belgique et administrateur-secrétaire de la fondation Dignity (à droite). © La Chambre

“Transformer l’injustice du passé en justice pour l’avenir” : Manu Keirse, président de la fondation Dignity

Une autre personne entendue ce vendredi 9 février par la commission est le professeur et psychologue clinicien Manu Keirse. Il a été étroitement impliqué dans la création de la Commission d'arbitrage. Il est également président de la fondation Dignity qui, au nom de la Conférence des évêques de Belgique, sert de point de contact central pour les victimes.

Au moment de la dissolution de la Commission Adriaenssens, dont le fonctionnement avait été rendu impossible après la saisie de ses dossiers par le ministère de la Justice, le professeur Keirse a immédiatement compris qu'il fallait une politique qui serait approuvée par tous les évêques et les supérieurs hiérarchiques, pour écouter les survivants et leurs familles et assumer la responsabilité morale de ce qui s'était passé dans le passé. Toutes les formes de réparation devaient être possibles, y compris les compensations financières, même si ces dernières étaient très incertaines. Lorsque la Conférence des évêques lui a demandé de contribuer à l'élaboration et à la mise en œuvre de cette politique de manière très concrète, il a répondu positivement.

Des centaines de contacts avec Rik Devillé et des éloges de sa part

La première personne à laquelle le professeur Keirse s'est adressé après avoir été sollicité par la Conférence des évêques a été Rik Devillé.  De nombreux moments de concertation, des centaines d'e-mails et d'appels téléphoniques s'en sont suivis avec lui. Dans son livre "In naam van de vader" ("Au nom du Père", 2019), Rik Devillé écrit : "La première déclaration qui provoque un tournant irréversible et qui s'adresse aux victimes avec respect émane du professeur Manu Keirse. Il le fait dans la même semaine de janvier 2011. "La forme de la guérison est déterminée par la victime. Il faut redonner à la victime la possibilité de s'exprimer et de décider pour elle-même". Il maintiendra cette position tout au long de la politique de rétablissement qu'il décrira plus tard" (p. 329).

Un comité indépendant composé du Parlement et de l'Église a travaillé pendant sept mois en 2011 pour établir un système d'arbitrage concluant. Le règlement d'arbitrage, les montants et les dispositions relatives au pouvoir discrétionnaire concernant les conventions de transaction ont été approuvés à l'unanimité par la commission parlementaire.

Comme il était impossible d'un point de vue juridique de confronter le survivant avec l'abuseur en raison de la prescription des faits, l'Église, avec l'aide de Dirk Van Gerven, bâtonnier de l'Ordre néerlandophone des avocats de Bruxelles, a créé une fondation d'utilité publique, Dignity, qui pouvait négocier en tant que personne morale au nom de tous les évêques et supérieurs ecclésiaux.

Il s'agit exclusivement de faits qui, parce qu'ils sont prescrits ou que l'auteur est décédé, ne peuvent plus être jugés par la Justice. Les survivants ne devaient pas fournir de preuves, mais seulement témoigner d'un certain degré de véracité. Même si l'auteur est encore en vie et qu'il nie ou minimise les faits, le témoignage des survivants est reconnu comme véridique.

En ce qui concerne les critiques actuelles sur les montants accordés, M. Keirse a souligné qu'une compensation financière ne peut jamais être assimilée à une réparation, mais constitue plutôt une confirmation symbolique de la reconnaissance d'une responsabilité morale. En effet, dans les cas d'abus de faits prescrits, il est très difficile, voire impossible, d'établir les dommages émotionnels et psychologiques et de prouver un lien de causalité entre des faits datant d'un passé lointain.

Le professeur Keirse a également formulé six conseils :

  1. Des "signaux d'alerte" devraient être présents ou intégrés dans toutes les organisations travaillant avec des enfants ou des mineurs. En effet, la maltraitance peut rester longtemps sous le radar.
  2. Il est nécessaire de mettre en place des programmes éducatifs qui alertent et responsabilisent les enfants et les mineurs contre les atteintes à l'intégrité.
  3. Il est nécessaire de mettre en place un point de contact national pour toute forme de comportement transgressif, qui établisse elle-même les contacts nécessaires pour une approche et un accompagnement plus approfondis et qui oriente les personnes vers des services compétents.
  4. Il convient de mettre en place une politique européenne cohérente et concluante en matière de prévention des comportements sexuellement transgressifs.
  5. La structure et le fonctionnement de l'Église mondiale doivent changer fondamentalement et continuer à évoluer, en particulier la manière dont les structures de pouvoir (pastorales) au sein de l'institution sont traitées.
  6. Pour les survivants d'abus ecclésiaux, tout doit être mis en œuvre pour transformer les injustices du passé en justice pour l'avenir. Avec, après les conventions de transaction, comme première étape dès maintenant : le remboursement des consultations psychothérapeutiques aussi longtemps que nécessaire ; la création et le développement de groupes d'entraide et de formes d'éducation à la mémoire.
La Commission d'enquête parlementaire "abuse", chargée d'enquêter sur le traitement des abus sexuels commis au sein et en dehors de l'Église, se compose de 13 membres effectifs : des députés issus de tous les partis, du PVDA-PTB au Vlaams Belang. Sa présidence est assurée par Sophie De Wit (N-VA). © La Chambre

👉 A voir et revoir : Les auditions sont filmées et retransmises sur le site de la Chambre

C.L. (avec Service de presse et d'information de la Conférence des évêques de Belgique)


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