Après la guerre en Ukraine en 2022 et le retour de violences au Proche-Orient en 2023, comment évoluera la scène internationale en 2024? Raoul Delcorde, ambassadeur honoraire et membre de l’Académie Royale de Belgique, insiste sur l’importance du travail diplomatique.
« Maintenant on se parle »: c’est avec cette phrase que les diplomates entrent en scène parce que tant que les hommes se parlent, ils ne se font pas la guerre. Et que ce soit en Ukraine ou au Proche-Orient, il est grand temps que l’on fasse taire les armes pour laisser la place aux négociateurs diplomatiques. Ils vont patiemment reconstruire la confiance par la parole. On constate en effet que, défenseur des intérêts exclusifs de son pays, le diplomate est capable de vouloir défendre aussi des intérêts universels. Pensons, par exemple, à Sergio Vieira de Melho, qui accompagna le processus de paix au Kosovo puis au Timor-Oriental, ou encore à Richard Holbrooke, l’artisan de la paix en Bosnie, « the unquiet American » pour reprendre le titre d’un article qui lui fut consacré. Cette évolution de la diplomatie est heureuse: les diplomates ont pris conscience d’un universalisme qui est dans le droit fil de leur cosmopolitisme antérieur.
Justice et diversité
Tentons de jeter un regard normatif. On peut épingler deux valeurs fondamentales qui constituent la trame du travail diplomatique. La première consiste à faire prévaloir la justice sur la force, car la force est la mère de l’anarchie et de la violence. Le diplomate intervient par la discussion, la négociation, la patience. Pensons à Kissinger et Le Duc Tho durant la guerre du Vietnam ou encore à Martti Ahtisaari, qui organisa la transition vers l’indépendance de la Namibie et négocia la fin des hostilités entre ce pays et ses deux voisins, l’Angola et l’Afrique du Sud.
L’autre valeur essentielle est celle de la diversité. Même si on peut s’accorder sur des idéaux communs en matière de fonctionnement des Etats (démocratie) et de respect des droits des individus, il faut aussi prendre en compte la diversité des modèles, qui reflète des contraintes spécifiques ou une histoire différente. La perception du temps et de l’espace n’est pas la même chez tous les peuples, du fait de l’influence de l’histoire et de la géographie sur la conduite de la politique étrangère. Le diplomate est celui qui est le mieux à même de pouvoir utiliser ces différences entre les nations pour enrichir les relations entre les Etats.
La fascination de « l’autre »
Beaucoup de choses ont changé dans le monde depuis l’époque où l’on a institué le métier de diplomate et créé le corps diplomatique. Mais le travail de diplomate n’a pas fondamentalement varié. Il a la relation humaine pour principal terreau et la parole comme outil. La diplomatie, c’est d’abord la communication. Le diplomate sera jugé, en bonne part, sur ce qu’il a écrit, sur la qualité de son analyse. Au fond, l’essence de la diplomatie, c’est la compréhension de « l’autre ». Qu’il soit partenaire commercial, adversaire stratégique ou allié idéologique, c’est toujours et chaque fois de « l’autre » qu’il s’agit. Qu’il négocie, exerce des pressions, menace, qu’il échange ou qu’il fasse la guerre, l’Etat est toujours dans une relation à « l’autre ». L’instrument privilégié de la rencontre de « l’autre » est, sur la scène internationale, la négociation diplomatique. On a fait remarquer que la guerre se décide seul, alors que la paix, comme tout accord commercial, se négocie. Et, bien évidemment, la négociation est un savoir-faire qui s’acquiert par l’expérience.
La négociation peut se définir comme la décision à deux ou à plusieurs: avec l’autre ou avec les autres. La fascination de « l’autre » imprègne le métier de diplomate. Pour mieux connaître cet autre, il faut en étudier la culture, la langue parfois, le fréquenter, dialoguer avec lui. La relation avec « l’autre » peut devenir elle-même un élément de la vie internationale: c’est ce qui se produit lorsqu’on institue une organisation internationale ; en elle, moi et les « autres » forment en quelque sorte un « nous », qui devient un interlocuteur des États; c’est bien le cas de l’ONU.
Pour un monde plus humain
En ce début d’année 2024, faisons ce constat : on est entré dans un monde dur, où les tensions se sont exacerbées. Les règles du jeu (quand elles ne sont pas bafouées) sont devenues plus complexes. Les grands dossiers diplomatiques des prochaines années seront, notamment, la sécurité collective, le changement climatique, le désarmement, la justice pénale internationale et la réforme des institutions internationales. Il convient de gérer le court terme tout en préparant l’avenir. Plus que jamais le diplomate doit maîtriser cet outil que constitue la conduite des négociations. Le diplomate va du réel au possible. Au fond, le diplomate est un vecteur d’apaisement. Quand un diplomate s’en va (gel ou rupture des relations diplomatiques), les tensions grandissent. Lorsqu’il revient, les négociations reprennent et les tensions se réduisent.
« L’autre », sous quelque forme qu’il se présente, est bien au cœur de la vie internationale et donc de la diplomatie. Que ce soit depuis Varsovie, Kinshasa ou Tokyo, le diplomate est celui qui a le souci de « l’autre » et qui fait le premier pas vers lui. Le monde n’en deviendra, à chaque fois, que plus humain.
Titre, intertitre et chapô sont de la rédaction.
📚 Raoul Delcorde est notamment l’auteur de Manuel de la négociation diplomatique internationale (Larcier, 2023).