Les jeunes s’inspirent de ce que nous sommes, plus que de nos beaux discours et nos méthodes, estime Baudouin De Rycke, enseignant et contributeur régulier de cette page ‘Opinion’.
Cette année 2024 a commencé par une bouffée d’espoir. Je déjeunais tranquillement, en écoutant la radio. On y parlait d’éducation, avec beaucoup de bienveillance et de lucidité. Pour souligner l’importance de ce pilier de la vie sociale et culturelle, un des intervenants évoquait le rôle incontestable qu’un de ses professeurs avait joué dans la conduite de sa vie. Un autre remarquait à juste titre que la plupart des dérives observées dans notre société étaient le reflet d’une grande pauvreté éducative. Mais ce qui impressionnait le plus les débatteurs, c’était le résultat d’une enquête récente, consacrée au décrochage scolaire: il y apparaissait clairement qu’aujourd’hui, la jeunesse ne dérivait plus seulement pour des raisons psychologiques ou sociales, mais pour une raison terriblement alarmante: le désenchantement… Comment donc réenchanter la jeunesse? Le débat s’animait… J’avais vite adhéré au diagnostic évoqué plus haut. Mais ce que j’entendis proposer comme remède me fit hélas, en un rien de temps, passer de l’espoir à la désolation. Tous étaient convaincus de l’efficacité d’un SYSTÈME adapté à notre temps. Qui s’opposerait à un projet si vertueux?
Changer de système?
Moi qui avais arpenté les couloirs des écoles pendant des décennies, je n’y voyais pourtant qu’un leurre… Outre le fait qu’une école n’a pas forcément vocation à épouser aveuglément tous les mouvements de notre société, je m’interrogeais une fois encore sur l’avenir d’un système tombé d’un cabinet ministériel et imposé à des gens qui n’ont en rien le sentiment d’y avoir contribué! D’ailleurs, nous savons tous, grâce au foot, qu’une tactique réputée géniale peut tourner au fiasco entre les mains d’un entraîneur moins affûté… Et quand il s’agit de traiter les problèmes d’un enfant connu de vous seul, l’adhésion forcée à un système venu d’ailleurs sera d’autant moins spontanée et enthousiaste! Il est vrai qu’à force de baigner dans un climat outrancièrement technocratique, nous finissons par croire que n’importe quel projet peut s’appuyer sur un mécanisme savant… Il s’agit là d’une triste déformation de l’esprit. Ce qui touche un enfant malheureux et le transforme, ce ne sont pas en premier lieu nos bavardages ou nos méthodes, mais bien ce que nous sommes. A cet égard, sa perspicacité est redoutable. Il n’a pas foi dans le polichinelle qui déverse sans âme un savoir sec et inamovible. Il ne grandit qu’au contact de celui qui livre avec une émotion pleine d’amour un enseignement qui a d’abord brûlé en lui.
Les imbéciles et les doctes
Ne nous étonnons pas que certains jeunes, à force de fréquenter des "mentors" eux-mêmes désabusés, en arrivent à penser que ce ne sont guère les murs de pierre qui font de leur école ou de leur famille une sorte de prison, mais bien des murs de chair et d’os qui, par défaut d’intérêt pour leur âme, oublient de leur donner les clefs de leur nature profonde. Nos centres de formation ont la capacité de traiter une partie des problèmes. Ils ont le pouvoir d’élever le niveau de leurs exigences en termes de qualités humaines, si nécessaires à ce métier qui ne cesse de se complexifier. Mais auront-ils les mains libres? Comme l’écrivait Christian Bobin: "Il n’y a que deux catégories devant lesquelles (le Christ) échoue et s’impatiente: les imbéciles et les doctes. Ceux-là ont en commun leur suffisance. Personne, jamais, ne leur fera entendre une chose aussi simple: que l’amour est source de la plus grande intelligence possible. La bêtise et l’esprit de système sont deux endurcissements, deux manières d’éprouver sa puissance sur le monde. Personne, jamais, ne lâche de son plein gré la puissance qu’il a, fût-elle imaginaire."
Baudouin DE RYCKE
Christian Bobin, Autoportrait au radiateur, folio, p.162
(Chapeau et intertitres sont de la rédaction)