Que devient Monsieur le Curé ? C'est la question que l'on se pose dans le dossier du dernier numéro de Dimanche. Pour y répondre, trois hommes d'Eglise, de clochers et d'horizons différents, livrent un témoignage de leur quotidien. Et nous parlent du lien qui les unit à leur paroisse. Alors, le curé est-il, par nature, destiné à "passer cinq lustres sous le même clocher" ? Ou doit-on aujourd'hui remettre en question sa stabilité au sein d'une paroisse ?
Le Vatican a rappelé l’importance d’une insertion de longue durée pour les responsables des paroisses. Pour autant, les curés ne sont jamais inamovibles. En France, ils sont généralement nommés pour une période de 6 ans, souvent prolongée de 3 ans. En Belgique, le "contrat" est, en moyenne, un peu plus long. Le droit canonique parle quant à lui de nomination "pour un temps indéterminé" (§ 522). Ce qui ne veut pas dire… à vie!
La stabilité permet sans aucun doute à un prêtre de vivre le don total à une communauté et de faire en sorte que la paroisse devienne vraiment un lieu d’évangélisation. Elle a de nombreux autres avantages, mais aussi des inconvénients. Trois hommes d’Eglise nous livrent leurs réflexions à ce sujet.
François Dedieu - "Le grand danger ? Devenir gestionnaire
des affaires courantes"
François Dedieu est curé à La Garenne Colombes, dans le diocèse de Nanterre (Paris). Dans son dernier ouvrage, Curé à durée indéterminée, il plaide pour la stabilité des curés au sein de leur paroisse, une stabilité qui nourrit les liens humains nécessaires à la transmission de la foi. Pour Dimanche
Dimanche : Il est toujours instructif de remonter dans l’histoire pour comprendre le rôle du curé et celui de la paroisse. Pourriez-vous rappeler d’où vient le mot ‘paroisse’ ?
François Dedieu : Il vient du grec paroïkein qui signifie "demeurer auprès de". Il désigne, dès le IIe siècle, une communauté particulière à l’intérieur de l’Eglise universelle, avec cette conscience que ces communautés ne peuvent être que de passage en ce monde. La véritable cité des chrétiens "se trouve dans les cieux", comme le dit saint Paul (Ph 3,20). Jean-Paul II a rappelé qu’après la famille, la paroisse est la première école de la foi, de la prière et des mœurs chrétiennes. Elle est aussi le premier champ de la charité et le premier organe de l’action pastorale et sociale. Enfin, elle est le terrain le plus adapté pour faire éclore les vocations religieuses.
Le concile de Trente redéfinit les paroisses au niveau administratif mais quatre siècles plus tard, le concile Vatican II a, selon le théologien René Metz, "livré les paroisses à leur propre sort et les a condamnées à mourir". Quelle est votre opinion?
Il est vrai que le concile Vatican II a laissé de côté la question des paroisses qui cherchaient alors un souffle nouveau. Le mouvement paroissial, né dans la première moitié du XXe siècle, s’est comme arrêté net. Un grand espoir a été déçu et explique la réaction de René Metz, dix ans après la fin du Concile. Cependant, un demi-siècle plus tard et à la suite de Jean-Paul II, le pape François a rappelé que la paroisse n’était "pas une structure caduque", reconnaissant en même temps "que l’appel à la révision et au renouveau des paroisses n’a pas encore donné de fruits suffisants" (Evangelii Gaudium n°28). Peut-être est-il temps de découvrir que la paroisse est le lieu au niveau local où les fidèles peuvent entendre l’appel universel à la sainteté, en étant profondément unis au Christ, en y puisant l’amour à répandre en ce monde? Peut-être est-ce là aussi que les fidèles peuvent répondre à l’appel universel à l’apostolat en devenant eux aussi missionnaires sur ce territoire qui définit leur paroisse?
Dans la paroisse, le curé est comme le pasteur avec ses brebis. Ici aussi, il faut remonter aux origines du mot curé pour comprendre sa mission. Pouvez-vous l’expliquer ?
Le curé est celui qui a la cura animarum, le soin des âmes. Une portion du troupeau de Dieu lui est confiée en ce sens, pour qu’il en prenne soin, c’est-à-dire qu’il conduise toutes ses brebis au Ciel, si on se souvient de l’étymologie du mot ‘paroisse’. On comprend l’importance du rapport humain, de la connaissance mutuelle, qui s’établit dans le temps: le pasteur connaît ses brebis et ses brebis le connaissent.
Quelles sont les missions du curé?
Sa première mission est d’annoncer la parole de Dieu, pour qu’elle puisse toucher tous les habitants du territoire de sa paroisse. Il doit aussi rendre un culte à Dieu, vers qui il s’efforce d’orienter le cœur des fidèles pour s’ouvrir à toutes les grâces que Dieu veut dispenser. Enfin, comme un chef d’orchestre, qui n’a pas à lui seul toutes les compétences, il s’efforce de discerner les charismes que le Seigneur a disposés au sein de sa communauté et de les articuler, pour conduire sa paroisse sur le chemin de l’Evangile.
La liturgie est-elle importante? Les traditionalistes la mettent en avant…
Lors d’un colloque en 2008 consacré aux paroisses et à la nouvelle évangélisation, Don Pietro Sigurani a apporté un témoignage dans lequel il propose de retourner là d’où la première communauté est partie, c’est-à-dire la célébration de Jésus. Il insiste pour rendre à la liturgie son impulsion missionnaire et remettre à l’honneur, le dimanche, des signes liturgiques clairs et dignes. Il raconte ainsi qu’il a commencé à annoncer, non pas ce que l’homme devait faire socialement ou moralement pour Dieu, mais plutôt ce que Dieu faisait gratuitement pour chaque homme. Il n’a fait que la liturgie et, peu à peu, la communauté s’est reconstruite, la communauté de tous les baptisés, pratiquants, non pratiquants, en crise, saints, pécheurs… Avec pour objectif d’amener toutes les personnes à célébrer Jésus.
Quels sont les dangers contemporains qui guettent le curé dans sa mission?
Le grand danger, accentué par le manque de prêtres, est de devenir un simple gestionnaire des affaires courantes. Cela peut se traduire par la perte de vie spirituelle et de vie missionnaire pour le curé et en conséquence, pour la paroisse elle-même.
Vous plaidez pour une stabilité du curé, comme un mariage à durée indéterminée… En quoi cela est-il essentiel?
Cette question de la stabilité du curé n’est pas une opinion personnelle mais une demande de l’Eglise, ne serait-ce qu’en se référant au concile Vatican II. C’est l’objectif de mon dernier livre que de rappeler ce que sont la paroisse et le curé et leur nécessaire stabilité. Il s’agit de retrouver le fait que le curé est signe du Christ, le bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Il ne peut abandonner son troupeau. Il le connaît bien. Les liens humains qui se tissent avec le temps et en particulier avec ceux qui ne fréquentent pas l’église, sont des canaux pour l’annonce de l’Evangile. Bien sûr, si cela se passe mal pour le prêtre ou la communauté, il est nécessaire de ne pas faire de cette stabilité un absolu: elle est au service de la mission. Et il est possible qu’on ait réellement besoin de ce prêtre ailleurs. Mais pourquoi arracher un pasteur à une communauté, ou une communauté à un pasteur, quand la mission de l’Eglise se déploie bien au sein de la paroisse?
Propos recueillis par Laurence D’HONDT (Chapeau CathoBel)
📚 Curé à durée indéterminée, Des pasteurs stables pour des paroisses qui bougent. Artège, 2022, 233 pages.