Chaque choix pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris suscite un débat. Ici, le prêtre liégeois Michel Teheux, spécialiste de la restauration du patrimoine religieux, invite à une démarche créative.
Le débat fait rage sur les réseaux sociaux depuis que Monseigneur Ulrich, le nouvel archevêque de Paris, a annoncé la volonté de susciter la création de six vitraux contemporains pour la cathédrale Notre-Dame qui ouvrira ses portes aux visiteurs et aux fidèles le 8 septembre prochain en la fête de l’Immaculée Conception, cinq ans après le dramatique incendie.
Voir récemment la bénédiction du coq de la flèche de Notre-Dame de Paris
Le Président Macron a accepté ce souhait et un concours sélectionnera l’artiste qui devra assumer ce défi emblématique : inscrire l’art d’aujourd’hui dans ce lieu patrimonial unique. Cette volonté a, par ailleurs, conduit à une commande, elle aussi controversée, du mobilier, notamment liturgique, à un designer de renom international : l’autel, l’ambon, la cathèdre, la cuve baptismale, les 1500 chaises allieront sobriété des formes épurées, qualité des matériaux et modernité de l’esthétique. Choix volontariste de confier à un créateur de mobilier ce qui est et doit être un « mobilier » par-delà les clichés culturels d’une prétendue sacralité, de ce qui doit être d’abord et essentiellement une création liée à une fonction et non à une image.
Le patrimoine, trace d'une histoire dont nous sommes les enfants
Ce serait, selon ces avis quasi unanimes, dénaturer Notre-Dame et un scandale de remplacer des vitraux « anciens » par des verrières contemporaines.
Remarquons déjà que le qualificatif est relatif : peu de vitraux de Notre-Dame sont originaux, ce qui signifie donc que la majorité reflète l’interprétation culturelle d’époques qui voulurent compléter le patrimoine originel devenu lacunaire. La critique est plus essentielle qu’une opinion esthétique (impossible puisqu’on ne connait ni l’artiste ni ses projets) : la décision ne respecterait pas le devoir patrimonial.
Qui pourrait ne pas convenir que le patrimoine – et plus encore un patrimoine surchargé d’une symbolique sociétale mondiale comme l’est la cathédrale de Paris ! – est à respecter ?
Il l’est d’abord parce qu’il est la trace fragile d’une histoire dont nous sommes les enfants et seulement les gestionnaires pour les générations futures.
Il l’est plus encore en tant que patrimoine dit « religieux », parce que dans ces reliques transparait l’âme qui a donné corps à ces monuments et à ces œuvres d’art : la symbolique des croyances constitue la valeur ajoutée du patrimoine dit religieux ; c’est elle qui justifie même ses qualités muséales.
Ne pas euthanasier l'âme et le souffle qui habitent le patrimoine
Honorer ce patrimoine c’est certes le conserver mais plus encore. C’est, de par cette nature «symbolique» nous inscrire dans l’inspiration qui le traverse, le justifie, «habiter» le sens qu’il a pour mission de nous transmettre et qui est son fondement et sa nature.
L’art « religieux » ne peut être « passéiste ». Aux antipodes d’une fonction esthétique, décorative et, tous comptes faits anecdotique et accessoire, le patrimoine religieux ne sera transmission – sa nature – de ce qui le fonde qu’en étant inscription dans la culture.
Sauvegarder le patrimoine, et plus encore le patrimoine religieux, appelle aussi à oser créer ; «congeler» ce que l’histoire nous a légué serait euthanasier l’âme et le souffle qui l’habitent.
Conserver le patrimoine exige de le « re-créer », va-et-vient entre une œuvre à recevoir, un lieu à «reconstruire», et le visiteur ou le priant à inviter pour une rencontre possible. Le patrimoine n’est honoré que lorsqu’il devient l’entremetteur de cette visitation.
Notre Dame, une maison de famille ?
Notre-Dame ne peut être un musée conservatoire. Ce serait dénaturer le sanctuaire, écrin d’une âme qui n’a que ces pierres, cette élévation et cette lumière pour se donner à battre. L’émotion et l’émerveillement sont géniteurs de cette naissance à refaire perpétuellement : Notre-Dame n’est Notre-Dame que parce qu’à chaque instant, pour chaque entrant elle devient « Notre-Dame. Elle ne le peut que parce que le patrimoine n’est pas muséal mais serviteur. Le patrimoine ne sera respecté que lorsque, selon Mallarmé, «rien n’aura eu lieu que le lieu ».
Une cathédrale, on l’oublie peut-être, est une église, « Ekklesia », « maison d’assemblée ». Une maison de famille en quelque sorte. J’aime ces vieilles demeures qui sont marquées par les rides des ans, dont les murs respirent tant d’histoires vécues. Je les aime parce que chaque génération les a modelées, abattant un mur, transformant un étage, démolissant ce qui n’avait plus d’usage, n’hésitant pas à « la mettre au goût du jour ». C’est à cause de cela qu’elles sont des maisons de famille.
Vivement que Notre-Dame soit dans un an une « église » conjuguant le génie du Moyen-Age, la surcharge de la symbolique sociétale qui s’est greffée sur l’art des artisans et… la mise au goût du jour, ces six vitraux d’aujourd’hui, pour que Notre-Dame reste Notre-Dame.
Abbé Michel Teheux