Jason Vidrine – Un col romain en pays cajun


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Jason Vidrine – Un col romain en pays cajun
Par La rédaction
Publié le
5 min

Le père Jason Vidrine est le prêtre de Saint-Martinville, une petite ville de la Louisiane, considérée comme le centre de la culture cadienne. Col romain, soutane, saturne, ce descendant d’un officier
français incarne une pratique religieuse pour le moins traditionnelle mais très vivante.

“Les Cadiens de Louisiane vivent ardemment leur foi catholique, principale raison de leur exil forcé il y a plus de 250 ans.", constate le père Jason Vidrine © Bernard Geenen

Chaque année, le 28 juillet, la petite bourgade de Saint-Martinville replonge dans le passé et se souvient avec émotion du Grand dérangement de 1755, la persécution et la déportation des Acadiens – des catholiques, donc – des provinces canadiennes du Nouveau-Brunswick et de Nouvelle-Ecosse décrétées par le gouverneur anglais Charles Lawrence.

Sur le bayou Têche, de frêles embarcations acheminent des figurants – les exilés en Louisiane – tandis que sur les berges, les familles Babinaux, Broussard, Thibodeau, Mouton… déambulent fièrement derrière un étendard arborant leur patronyme. Tout cela sous le regard d’un prêtre portant soutane, col romain et saturne. Est-il lui aussi un figurant ou bien "the real thing" comme on dit familièrement ici? Il s’avère qu’il est en effet le jeune curé (40 ans) de la paroisse et que son habit, comme j’allais l’apprendre quelques semaines plus tard, n’avait rien de circonstanciel.

Le français, naturellement

Rendez-vous est pris dans un coffee shop à proximité de l’impressionnant presbytère. L’ensoutané – dans tous les sens du terme – nous salue en français. L’entretien se poursuivra dans cette langue qu’il manie avec aisance. “J’ai grandi à Ville Platte, une petite ville au nord de Lafayette, dans un environnement assez francophone, explique-t-il. Contrairement aux autres régions de la Louisiane, Ville Platte est plus française qu’acadienne. Elle a été peuplée par des soldats et des officiers français: les Soileau, Fontenot… Les Vidrine en sont à la sixième génération. Notre ancêtre était Jean-Baptiste De Vidrine (né en France en 1712 et mort ici en 1788), un officier au service du Roi de France”.

“Ce sont surtout les plus âgés qui parlent cette langue”, poursuit notre interlocuteur. “Personnellement, je n’ai étudié le français – avec une enseignante belge, que durant deux années. Par la suite, pendant les vacances lors de mes études en théologie à Rome, j’ai pu suivre des cours d’immersion au Couvent des Dominicains à Toulouse. J’ai aussi séjourné trois fois à Bruxelles chez une tante qui a épousé un Belge après la Seconde Guerre mondiale.”

Le parcours de Jason Vidrine allie foi et pratique

Son éveil religieux, Jason Vidrine l’attribue à une retraite de confirmation. Et c’est à 16 ans qu’il dit avoir reçu un appel de Dieu. Après la High school, il a donc naturellement intégré le séminaire Saint-Joseph de Covington au nord de La Nouvelle-Orléans où il a obtenu un bachelier en art et philosophie. “J’ai ensuite rejoint le Collège pontifical nord-américain à Rome et y ai décroché en 2006 une maîtrise en théologie dogmatique tout en étudiant l’italien que je pratique à présent couramment.”

Le parcours du Père Vidrine est depuis lors exclusivement marqué du sceau louisianais avec des apostolats à l’université de Lafayette, Scott, Gueydan Ville Platte, Krotz Springs et Crowley avant de se voir confier, en 2021, la responsabilité de la paroisse de Saint-Martin de Tours à Saint-Martinville. Etablie en 1765, il s’agit de la troisième paroisse la plus ancienne en Louisiane et en tout cas la paroisse la plus emblématique des Acadiens qui l’ont fondée dès leur arrivée en Louisiane. L’église quant à elle a été construite en 1836. On la surnomme d’ailleurs la “Mother Church of the Acadians”.

Et Dieu sait s’ils lui font honneur! “La dévotion et la pratique religieuses sont toujours bien vivantes chez les Cadiens”, constate le desservant. Pour preuve, son horaire démentiel. Deux messes le samedi, trois le dimanche matin – dont une en latin, à midi, qui réunit 300 fidèles –, deux offices le mardi, un office le mercredi et le jeudi, et deux eucharisties le vendredi – dont une en latin. On y ajoutera les visites à la maison de santé, aux malades, les réunions du conseil pastoral, le repas hebdomadaire de charité pour les nécessiteux.

Porter la soutane, un choix personnel

Le seul jour de relâche pour le jeune prêtre est le lundi. Il en profite alors pour rendre visite à sa famille et à s’adonner à ses hobbies: lecture, histoire, généalogie et, en tant que bon “Cajun”, la cuisine. On y ajoutera les voyages lors des congés.

Soutane, messes en latin, adoration, confessions, processions… La réalité cléricale et liturgique pour le moins traditionnelle dans cette partie des Etats-Unis interpelle. “Le port de la soutane est un choix personnel”, confie-t-il. “C’est une question de visibilité. Il est important que la communauté identifie son prêtre, le distingue, le sente proche d’elle. Je ne suis pas un cas isolé. Beaucoup de prêtres catholiques, et même les plus jeunes, portent la soutane. Les messes en latin, ne sont pas mon idée, mais bien une demande spontanée des paroissiens. J’en célèbre deux en français: le 15 août à l’occasion de la fête de l’Assomption et bien entendu le 28 juillet.”

Et de conclure: “Les Cadiens de Louisiane vivent ardemment leur foi catholique, principale raison de leur exil forcé il y a plus de 250 ans. La ferveur et la pratique sont donc solidement ancrées dans notre histoire. Elles font partie intégrante de notre identité particulière, avec la langue française.”

Bernard GEENEN

Le plus beau presbytère des Etats-Unis !

DR

Quand on lui fait remarquer qu’il occupe à coup sûr le plus beau presbytère des Etats-Unis, le Père Vidrine se contente d’un léger sourire entendu. Gageons qu’il n’en pense pas moins.

Avec ses hautes colonnes, sa galerie et son vaste balcon, cette demeure – on pourrait même dire ce manoir – affiche le charme romantique du Sud et porte toujours fièrement ses 167 ans d’histoire.
Construit en 1856, soit près d’un siècle après l’arrivée des premiers Acadiens en Louisiane, à Saint-Martinville précisément, le presbytère déploie en façade les cinq drapeaux des gouvernements qui ont exercé leur autorité en ces lieux: la France (la lignée Bourbon) de 1756 à 1762; l’Espagne (la lignée Bourbon) de 1762 à 1800; la première République française (Napoléon), de 1800 à 1803; les États-Unis (achat de la Louisiane) de 1803 à 1861; la Confédération de 1861 à 1865

B.G.

Catégorie : Eglise monde

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