En ce mois de décembre, le nouvel archevêque de Malines-Bruxelles a accordé une grande interview à notre consœur Lieve Wouters de Kerk & Leven. Mgr Luc Terlinden s’y exprime sur le scandale suscité par la série "Godvergeten", sur le conflit au Proche-Orient et, bien entendu, sur la fête de Noël.

Début septembre, Luc Terlinden a été consacré évêque et installé comme archevêque de Malines-Bruxelles. La même semaine, le premier épisode de Godvergeten fut diffusé. Avait-il imaginé sa lune de miel différemment ? "Je ne suis pas devenu évêque pour profiter de la tranquillité", assure-t-il. Rencontre avec un dirigeant ecclésiastique au caractère bien trempé.
Lieve Wouters : C'est votre premier Noël en tant qu'archevêque, dans une société marquée par la polarisation. Que signifie aujourd'hui la naissance du Prince de la paix ?
Mgr Luc Terlinden : Noël est peut-être trop souvent présenté comme une fête romantique. Lorsque Jésus est venu au monde en Palestine, il y a 2000 ans, c'était aussi dans un contexte de grande incertitude politique. Sa naissance n'a pas miraculeusement changé la donne. Pour comprendre le sens de Noël, nous devons plutôt nous tourner vers Pâques, vers la mort de Jésus, qui donne à son témoignage une force centrifuge. C'est à travers la croix que nous pouvons comprendre le nom "Emmanuel", que l'évangéliste Matthieu cite dans son récit de Noël d’après Isaïe. Ce nom signifie: "Dieu est avec nous". Le sens profond de Noël est que Dieu est avec nous dans les ténèbres les plus profondes. Il n'est pas seulement né dans la plus grande vulnérabilité, il y est également mort. Et la mort n'était pas la fin de l'histoire. Telle est l’espérance de Noël.
Partagez-vous le sentiment que nous sommes entrés dans une période sombre ? Ou bien avons-nous trop peu le regard tourné vers le positif ?
J'ai un tempérament plutôt optimiste. Lors de mon stage à la paroisse de Schaerbeek, j'ai appris du prêtre à voir des signes d'espoir dans la vie de tous les jours. Je pense aujourd'hui, notamment, au dialogue interreligieux. Entretenir de bonnes relations avec d'autres responsables religieux est l'une de mes nouvelles tâches en tant qu'archevêque. J'ai récemment rencontré le Grand Rabbin de Bruxelles, Albert Guigui. Dans le contexte de la guerre à Gaza, il est tellement important d'être en lien les uns avec les autres. Nous étions d’accord que la guerre n'est pas d’abord religieuse, mais politique, et qu'il devrait être possible d'envoyer un signal indiquant qu’il y a certaines choses qu’on n’accepte pas. C'est ainsi qu'est née l'idée de nous rendre ensemble à Jérusalem en guise de déclaration de paix. Dès que la sécurité le permettra, nous voulons le faire, y compris avec des représentants d’autres convictions.
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Vous avez toujours été très engagé auprès des jeunes. Ce contact vous manque-t-il en tant qu'archevêque ?
J'ai encore beaucoup de contacts avec les jeunes, par exemple lors de la préparation des mariages. J'étais également présent aux Journées Mondiales de la Jeunesse de l'IJD à Grimbergen, ainsi qu'à un événement organisé par les pastorales des jeunes francophones à Maredsous. Les jeunes ont un enthousiasme naturel. Ils ont beaucoup de rêves, pour eux-mêmes, mais aussi pour l'Eglise. Je trouve que c'est une belle et importante mission que d'écouter leurs rêves et de renouveler ainsi la vie de l'Eglise.
Quels sont les trois images ou événements qui marquent l'année 2023 pour vous ?
Je pense tout d'abord à Gaza. La destruction, le désespoir, le lourd bilan humain m'ont profondément touché. La diplomatie internationale a encore échoué ici après l'Ukraine, le Yémen, le Soudan, le Congo... Une deuxième image est celle de Godvergeten. La douleur des victimes qui ont témoigné m'a également profondément touché. Nous ne pouvons jamais penser que nous en avons fait assez. Nous sommes ouverts aux recommandations des commissions parlementaires, comme nous l'étions en 2010. Depuis, nous avons adopté une politique de tolérance zéro. Une troisième image est celle des tables rondes au synode sur la synodalité. Elles symbolisent véritablement le passage d'une Eglise pyramidale et hiérarchique à une Eglise où chacun est autorisé et est capable de participer sur un pied d'égalité; hommes et femmes, laïcs et religieux, jeunes et aînés.
La douleur des victimes qui ont témoigné m'a profondément touché.
Mgr Luc Terlinden à Kerk & Leven
Vous venez de mentionner "Godvergeten". Dans quel état d'esprit avez-vous entamé votre travail ?
On ne devient pas évêque pour profiter de la tranquillité, hein. L'attention portée aux victimes est désormais une priorité pour moi. Je vais régulièrement en paroisse et il y a beaucoup de questions sur l'échec de l'Église, mais aussi un signal de confiance sur le fait que les bonnes décisions seront prises. Beaucoup de gens veulent rester attachés à l'essentiel, à l'Évangile. Et quand je vois leur formidable engagement, je ne peux que constater que l'Église est vivante.
Avez-vous reçu des réponses sur ce que l'Église peut faire de plus pour les victimes d'abus ?
Comme en 2010, nous voulons trouver la bonne réponse conjointement avec les commissions parlementaires. Certaines pistes sont d'ores et déjà sur la table. On envisage, entre autres, des groupes de discussion pour les victimes et leur entourage, encadrés par des professionnels. Cette proposition émane d'une victime elle-même. Cela pourrait également être ouvert aux personnes ayant subi des abus dans d'autres contextes que celui de l'Église. Nous voulons être là pour elles aussi. Une autre proposition concerne le soutien psychologique et, éventuellement, un jour fixe de commémoration avec des suggestions pour la liturgie.
Comment voyez-vous l'Église de demain ?
J'aime penser à l'Église comme à une famille dans laquelle tous les membres sont solidaires les uns des autres et surtout des plus vulnérables. Une famille aussi où chacun compte et trouve sa place. J'aimerais parler d'une Église fraternelle, moins hiérarchique et pyramidale. En d'autres termes, une Église dans laquelle les tâches et les responsabilités sont mieux réparties. Je pense aussi à la présence des femmes dans nos instances dirigeantes. En tant que curé, j'ai déjà fait l'expérience que cela change notre façon de travailler. Je souhaite également y travailler au sein du conseil épiscopal de l’archevêché. Pour ce faire, nous ne devrions pas attendre une réforme ou une éventuelle ouverture du diaconat aux femmes.
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Cette question a été ouvertement débattue lors du synode de Rome. Pensez-vous que l'ordination diaconale des femmes se concrétisera ?
Elle existait déjà dans les premiers siècles. Je ne sais pas si la prochaine session du synode à Rome en décidera, mais ce n'est en aucun cas le point final de la synodalité. Nous n'en sommes qu'au début du processus synodal.
Comment voyez-vous le rôle du prêtre dans une Église plus synodale ?
J'espère qu'une nouvelle définition du ministère du prêtre et de l'évêque sera l'un des premiers fruits du synode. Je n'aime pas le fait que tant de pouvoirs soient concentrés dans les mains de l'évêque. Nous devons évoluer vers un modèle d'autorité circulaire, avec beaucoup plus de consultations. Il ne suffit pas de réunir quelques paroissiens au sein d'un conseil si, à la fin, le curé ou l'évêque décide seul.
Travailler en complémentarité et prêter attention aux compétences et aux charismes de chacun ne doit d'ailleurs pas être considéré comme une concurrence au rôle du prêtre ou de l'évêque. Une paroisse a besoin de compétences de gestion. Dans une communauté où tout tourne autour du prêtre, il y a un risque que le prêtre devienne de plus en plus un gestionnaire. Mais ce n'est pas le cœur de son ministère, qui consiste avant tout à accompagner les gens sur le plan pastoral et à être proche d'eux dans leur vie concrète. C'est aussi là que l'on trouve le plus d'énergie et de satisfaction, d'après ma propre expérience en tout cas. Dans une Église synodale, un prêtre peut à nouveau être davantage un prêtre, un signe de la présence du Christ. C'est la dimension sacramentelle du prêtre à travers son ordination. Et cette dimension sacramentelle ne s'exprime pas seulement dans l'Eucharistie ou la confession.
Je n'aime pas le fait que tant de pouvoirs soient concentrés dans les mains de l'évêque.
Mgr Luc Terlinden à Kerk & Leven
Comment pouvons-nous rendre la pratique synodale plus vivante sur le terrain ?
(rires) Ce sujet est justement à l'ordre du jour de notre Conseil épiscopal. Nous pouvons également faire appel à l'expertise du monde de l'entreprise, où des personnes travaillent depuis un certain temps sur la prise de décision participative.
Quels sont les espoirs que vous nourrissez pour notre Église ?
Que nous puissions devenir une Eglise véritablement fraternelle et familiale. La simplicité et la confiance doivent en être les éléments centraux. Une Eglise qui soit aussi une oasis de miséricorde pour tous les hommes, où nous puissions faire l'expérience de l'amour de Dieu pour chaque être humain. C'est très important pour moi. Ainsi, nous devenons des communautés rayonnantes et vivantes qui témoignent de l'amour de Dieu. Charles de Foucauld reste une grande source d'inspiration pour moi à cet égard. Il a été prophétique dans sa responsabilité à l'égard des laïcs, par exemple. Il était conscient du rôle important des laïcs dans la proclamation de l'Evangile, même s'il ne pouvait pas encore prédire notre situation actuelle de sécularisation profonde. Sa vision de la vie religieuse, proche des gens et d'une grande fraternité, est particulièrement moderne. Ce faisant, il avait à l'esprit l'image de la Sainte Famille de Nazareth. Tous les croyants comme une grande famille autour de Jésus.
Une Eglise qui soit une oasis de miséricorde pour tous les hommes.
Mgr Luc Terlinden à Kerk & Leven
... et pour notre société ?
Des valeurs comme la démocratie, la liberté et la solidarité sont mises sous pression dans notre société, en partie à cause de la montée des extrêmes dans les partis politiques, mais aussi à cause du fossé grandissant entre riches et pauvres. Dans nos villes, nous voyons tant de sans-abri et de réfugiés qui ne sont pas accueillis. Pour défendre ces valeurs, nous devons redécouvrir nos racines en dialoguant avec d'autres convictions philosophiques.
Mon souhait de Noël est donc que nous percevions l'espérance de ce petit enfant dans la crèche : Dieu est avec nous. Il n'est jamais loin. J'y trouve l'espérance de la paix et l'espérance pour notre Église de faire route ensemble.
Comment allez-vous fêter Noël cette année ?
Tout d'abord, il y a la célébration de la veille de Noël à minuit et la célébration de Noël en journée dans la cathédrale. Après cela, un bon repas m'attend dans ma famille. Ensuite, j'ai une semaine de vacances : je vais faire du ski en Suisse. J'aime beaucoup être dans les montagnes enneigées : d'un côté, il y a le calme et la tranquillité, de l'autre, l'adrénaline de l'escalade et du ski. Je serai heureux d'y être guidé par un guide, de me décharger de toute responsabilité pendant un certain temps et de me fondre dans le groupe.
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Pour finir, le pape François viendra en Belgique en 2024. Qu'est-ce qui vous a traversé l'esprit lorsque vous avez appris la nouvelle ?
Avec les recteurs des deux universités catholiques, nous avions en effet formulé cette demande et, bien sûr, espéré une réponse positive. On sait que le pape François se montre parcimonieux en matière de visites à l'étranger. C'est donc une très belle surprise. Qu'il a d'ailleurs annoncée personnellement dans une interview !
✍️ Propos recueillis par Lieve Wouters de Kerk & Leven
Traduction de CathoBel
Retrouvez l'interview en néerlandais sur la plateforme Kerknet.be