Dans l'émission "En quête de sens - Il était une foi", Louis Bréda, victime d'abus dans son enfance, a témoigné du soutien qu'il a trouvé dans le point de contact du diocèse de Liège. Un récit poignant, fait de courage et de résilience. Christine François, responsable de ce point de contact, était également présent en plateau. Elle en a explique la mission et le fonctionnement.
Il faut beaucoup de courage pour accepter de témoigner publiquement d'abus qu'on a subi. C'est ce courage qu'a montré Louis Bréda, ancien coordinateur technique de théâtre, lorsque, dans l'émission "Il était une foi", il a témoigné des abus qu'il a subi dans son enfance. Un courage accompagné d'une certaine appréhension - c'est la première fois qu'il s'exprime sur un plateau de télévision -, mais aussi d'une forme de sérénité.
"Cela se passe en 1968", commence-t-il . "J'ai 8 ans. Je suis dans une école catholique de la région verviétoise et la visite médicale annuelle a lieu comme chaque année. Nous sommes réunis dans un local en attendant notre tour. Nous ne sommes évidemment pas très habillés. Un frère qui était chargé de nous surveiller s'est approché de moi, et j'ai eu j'ai été victime d'attouchements". Ce jour-là, et pendant de longues années, il n'en parle à personne. "Je pense que j'ai mis un couvercle sur ces faits et qu'il a fallu du temps pour que le couvercle se soulève".
Revoir l'émission : "Il était une foi... les abus dans l'Eglise"
"Je n'ai jamais eu de haine pour personne"
Ce sont les événements dramatiques autour de la disparition et de la mort Julie et Mélissa, deux des petites victimes de Marc Dutroux, qui servent de déclencheur. "C'est revenu à ce moment-là avec, assez curieusement des images assez précises, alors que j'avais complètement effacé la 'boîte noire' de cette histoire", raconte Louis Bréda. A ce moment, il n'en parle toujours à personne. Mais, continue-t-il, "en prenant de l'âge, j'ai fini par me dire que je ne pouvais pas pas terminer ma vie sans avoir réglé ce problème. Je n'en voulais à personne, je n'ai jamais eu de haine pour personne, même pour l'abuseur, ni pour son environnement social ou professionnel. A la rigueur, je voulais le rencontrer. Je voulais qu'on puisse parler, pas pour l'accuser, mais pour entendre la voix de quelqu'un qui avait été finalement important dans ma vie, je suppose".
C'est à ce moment-là que, en pleine pandémie du coronavirus, Louis se dirige vers le point de contact du diocèse de Liège, chargé d'accueillir les victimes d'abus qui le souhaitent. "J'ai alors eu eu la chance, parce que c'est exactement le mot qui convient, de rencontrer Madame François, avec laquelle j'ai eu des discussions intéressantes et apaisantes.", témoigne Monsieur Bréda.
Comment fonctionnent les points de contact de l'Eglise ?
Qu'attendent les victimes qui s'adressent aux points de contact mis en place par l'Eglise belge, dans chaque diocèse, depuis dix ans? De nombreuses personnes s'adressent au point de contact du diocèse de Liège, dont Christine François, avocate de profession, est responsable ? "Cela pour varier en fonction des circonstances" ,explique-t-elle, "mais nous rencontrons trois ou quatre personnes par an". Comment cela se passe-t-il concrètement ? "En règle générale", poursuite Christine François, "les victimes se tournent d’abord vers le point de contact central qui à Bruxelles, par téléphone. On me répercute ensuite les informations. À ce moment-là, je prends moi-même contact, par téléphone, avec la personne qui a fait la démarche. Je l’entends d’abord longuement. Ensuite, nous fixons une date à laquelle elle pourra être reçue."
Ce point de contact est pris en charge par une équipe pluridisciplinaire. "Outre moi-même", poursuit la responsable, "cette équipe est composée d'un psychiatre et de deux psychologues. Nous écoutons la victime, et je pense que c'est un moment assez cathartique pour la personne. Parce que c’est autre chose de se dévoiler devant un groupe de trois ou quatre personnes que d'être dans un colloque singulier. Nous essayons de voir avec la victime ce qu'elle souhaite et ce qu'elle attend de la part de l'Eglise."
Retrouver l'abuseur
Comment cela s’est-il passé avec Louis Bréda ? Christine François raconte : "Lorsque Monsieur Bréda et moi nous sommes longuement entendus au téléphone, il m'a fait part notamment de son souhait de pouvoir identifier son abuseur, ce qui s'est avéré impossible, parce que nous n'avions pas suffisamment d'éléments pour pouvoir mettre un nom sur cette personne. L'école où il était intervenu se trouvait dans le bas de Verviers et a vu toutes ses archives disparaître dans les inondations de 2021.
"Au terme des investigations qui ont été entreprises, nous avons quand même pu donner trois noms à Monsieur Breda, mais aucun d’entre eux ne correspondait à l’identité de son abuseur. Ensuite, nous un dossier pour qu'il figure dans les archives de la congrégation concernée, mais Monsieur Breda n'a pas souhaité recevoir d'indemnisation. Mais, s’il souhaite en demander à l’avenir, il sera toujours le bienvenu et sera entendu."
Quels critères pour une indemnisation des victimes ?
Une indemnisation des victimes a été prévue par la première Commission parlementaire, qui a siégé en 2010-2011. L'avocate nous explique quels sont les critères appliqués pour déterminer les montants de cette indemnisation. Ceux-ci ont été mis en oeuvre par le Centre d'arbitrage, institué par la Commission pour deux années. Le travail du centre d'arbitrage a été repris ensuite par les points de contacts créés par de l'Eglise de Belgique.
"Ces critères correspondent à des fourchettes qui sont déterminées en fonction de la gravité des abus. Parle-t-on d’attouchement, de viol complet ? Les critères tiennent également compte de l'âge de la victime et de la durée des abus. Des attouchements qui se sont produits même une seule fois, c'est dramatique. Mais lorsqu’on subit des attouchements ou d’autres abus, pendant une dizaine d'années, les conséquences sont tout à fait autres. Il faut également être tout à fait clair : l’indemnisation financière demandée par certaines personnes ne réparera jamais le dommage qu’elles ont subi. Un dommage de cette nature est irréparable."
Les abus sont "l'affaire de tous"
Lorsqu'on lui si le point de contact de Liège l'a aidé, Louis Bréda répond : "Oui. Je pense qu'il est important de savoir que ces points de contact existent, que leur utilité est indéniable. Je pense qu’il est utile, qu'il est nécessaire d'en parler. Non seulement en lien aux abus sexuels qui se sont passés ou qui se passent encore éventuellement dans l'Eglise, mais en lien à tous les abus que les enfants subissent, que ce soit dans l'Église ou ailleurs. Je crois que c'est l'affaire de tous. C'est notre affaire de nous en tant que voisins, non pas de regarder ce qui se passe dans leur cuisine, mais d’être attentif à ce qui se passe, d'être en compassion avec les enfants et d'être là le jour où on voit qu'un enfant ne va pas bien. Il y a toujours une raison. Un enfant a toujours raison."
"J'ai rencontré des gens formidables dans l'Eglise"
Nous demandons enfin à Louis Bréda si, de son point de vue, l'Église en fait assez pour accompagner les victimes d’abus. Et plus largement, si la société dans son ensemble en fait assez pour lutter contre les abus sexuels qui se passent aussi dans d’autres milieux, et principalement dans le cadre de la famille. "Je ferais un parallèle avec les la théorie du fromage à trous" commence-t-il par répondre. "On peut mettre autant de couches qu'on veut, il y a toujours un moment où les trous vont se faire face, et y aura un passage. L'Église ne peut pas, la société ne peut pas éviter les abus de toutes sortes, ni sur les enfants, ni sur les femmes, ni parfois sur les hommes. À part avoir mis en place ce qui existe aujourd’hui, c'est à dire dénoncer les faits, je ne vois pas très bien ce qu'on peut faire d'autre."
Il tient enfin à préciser : "Je ne suis pas catholique, je suis débaptisé. Je ne suis donc pas en train de de prêcher pour ma paroisse, si je peux me permettre l'expression, mais j'ai rencontré des gens formidables dans l’Eglise et dans ma vie. J'ai rencontré des gens qui étaient un peu moins formidables. Des catastrophes, ça arrive. Je ne crois pas qu'on puisse les éviter totalement. C'est à l’infini."
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Christophe HERINCKX