Une délégation de 26 victimes, hommes et femmes, d’abus commis par des frères de la communauté Saint-Gabriel a été reçue au Vatican par la Commission pontificale pour la protection des mineurs, puis par le Pape dans l'après-midi ce mardi 28 novembre. Abusées dans les années 60 dans les instituts de Bretagne et de Loire-Atlantique, leur présence à Rome est une nouvelle étape dans leur parcours de reconstruction.
C’est une rencontre que les victimes avaient désirée, et qui est pour elles une forme d’aboutissement. Malgré son inflammation pulmonaire qui a provoqué l’annulation de plusieurs rendez-vous en début de semaine, François a accueilli ce 28 novembre après-midi le groupe de 26 victimes françaises, hommes et femmes, des frères de Saint-Gabriel à la résidence Sainte-Marthe. Elles avaient entre 7 et 8 ans au moment des faits, elles en ont entre 65 et 70 aujourd’hui.
Auparavant, le Pape avait transmis à ce groupe dans la matinée un message via la Commission pontificale pour la protection des mineurs. «La subversion des droits de l'enfant par la violence et les abus est une trahison de l'humanité que Dieu nous a donnée», a ainsi écrit le Pape. Cette première rencontre fut «un moment d’accueil, d’apprentissage et de dialogue focalisé sur le parcours de témoignage, de mémoire et de prévention que ces personnes ont mené avec l’Église locale et la Commission» selon le communiqué de la Salle de presse du Saint-Siège.
"Nous ne pouvons y parvenir qu'ensemble"
Dans son message, le Pape explique avoir demandé à la Commission d'entendre leurs paroles en son nom et de recueillir leurs témoignages afin qu'ils puissent renforcer et inspirer les efforts communs pour éradiquer les abus dans Église et les communautés.
"Nous ne pouvons y parvenir qu'ensemble", précise le Souverain pontife, "chacun faisant sa part pour briser le silence des abus". "Ce silence, poursuit François citant le parcours exemplaire de réconciliation réalisé avec les Frères de Saint-Gabriel, peut être brisé si l'institution elle-même fait preuve d'ouverture pour écouter ce que les victimes et les survivants ont à dire".
L’évêque de Rome termine en assurant les victimes de l’engagement non négociable de l'Église à mettre en œuvre et à vérifier les politiques de protection, les standards professionnels dans la formation humaine du clergé et des religieux, et à assurer un environnement sûr dans les écoles.
Les faits dans les écoles des Frères Saint-Gabriel
Dans les années soixante, plusieurs dizaines d'enfants ont été abusés par des membres des Frères de Saint-Gabriel, victimes de viols ou d’attouchements dans les écoles d’Issé, Loctudy et Chavagnes-en-Paillers entre la Bretagne et la Loire-Atlantique. Certains d’entre eux ont tu ces faits pendant 50 ans, avant de rompre le silence pour enfin parler à leur entourage, leur époux ou épouse et leurs enfants. D’autres victimes, avouent-ils, n’y sont pas encore parvenues.
Jean-Pierre Fourny est l’une de ces victimes. Âgé de 67 ans, il a été victime d'abus à l’âge de 7 ans et n’a trouvé la force de raconter les «tortures» subies qu’à l’âge de 32 ans. Jean-Pierre a été victime du frère Gabriel Girard, aujourd'hui décédé, qui est l'auteur supposé d’abus sur plus d’une centaine d’enfants dans les trois écoles où il a enseigné. «La nature de ce qu'on a subi? C'est une agression, des attouchements, des viols», rapporte Jean-Pierre Fourny. Il n’y a plus de colère dans les paroles de Jean-Pierre, qui se définit comme une «ex-victime». Entendu par la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), indemnisé par la CRR, (Commission reconnaissance et réparation), il a «tourné la page».
Pour en arriver là, «un long processus» a été nécessaire. «Maintenant, on est plus plutôt proche de l'aboutissement de la reconnaissance et de la réparation», continue-t-il.
Une démarche collective
Aujourd'hui, les anciennes victimes regroupées au sein de l’association Ampaseo (association pour la mémoire et la prévention des abus sexuels dans l’Église de l’Ouest) entretiennent des relations d’amitié avec les Frères de Saint-Gabriel. Cela, grâce au travail des uns et des autres, mais également d’un ancien provincial des Frères, Claude Marsaud, «une personne très ouverte, très intelligente, qui est d'ailleurs avec nous aujourd'hui». Après une courte pause, Jean-Pierre ajoute: «Ça fait un peu drôle parce qu'en fait, aujourd'hui, on se rend compte qu'on est avec les représentants de nos anciens prédateurs, c'est quand même très fort».
L’évêque de Nantes et d’autres religieux ont contribué à l’accompagnement des victimes, mais les Frères de Saint-Gabriel sont allés plus loin, jusqu’à les impliquer dans une démarche de transformation de la communauté fermement engagée dans la lutte contre les abus afin que des actes indicibles ne se reproduisent plus. C’est Claude Marsaud, au nom des disciples de Louis Grignon de Montfort et de Gabriel Deshayes, qui le 12 mai 2022 a lu l’acte de reconnaissance: «Nous, frères de Saint-Gabriel, reconnaissons et dénonçons toutes les violences physiques, psychologiques, morales, sexuelles commises par certains de nos frères dans l’exercice de leur métier d’éducateur, d’enseignant, d’animateur, de maître spirituel». Cette reconnaissance des fautes commises a été bien accueillie par les victimes.
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La conversation s’achève sur un substantif: «survivants». C’est ainsi que le Pape François définit souvent des victimes d’abus. «C’est vrai qu'on est des survivants», affirme Jean-Pierre, «mais il n'y a pas que des survivants, il y a eu beaucoup de morts. Des gens sont morts parce qu'ils se sont suicidés».
(D'après Vatican News, Jean Charles Putzolu – Cité du Vatican)