Comment, à l’horizon 2033, l’Evangile sera-t-il proposé en Belgique francophone? C’est pour réfléchir à cette question qu’est né le groupe Evangelium 2033, rassemblant des théologiens, hommes et femmes, prêtres et laïcs, des différentes confessions chrétiennes. Christophe d’Aloisio, prêtre orthodoxe, et Antonin le Maire, prêtre catholique, nous éclairent sur les objectifs du groupe.

Quelle(s) Eglise(s) souhaitons-nous dans notre société en transition? Cette autre question résume assez bien ce qui a motivé une dizaine de chrétiens à initier une cellule de réflexion. Leur point commun: elles et ils sont théologiens, et engagés sur le terrain à différents niveaux. La spécificité du groupe: ses membres sont issus des différentes Eglises chrétiennes, catholique, protestante et orthodoxe. En investiguant une série de chantiers prioritaires – le cléricalisme, les rites « de passage », le rôle des écoles chrétiennes… –, ce groupe œcuménique informel espère pouvoir éclairer les vies des communautés chrétiennes. Deux membres d’Evangelium 2033 nous parlent du groupe: Antonin le Maire, prêtre catholique de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, engagé en paroisse dans la capitale; Christophe d’Aloisio, prêtre orthodoxe, père de famille, directeur de l’Institut de théologie orthodoxe de Bruxelles, chargé du cours de théologie des Eglises orientales à l’UCLouvain.
Pourquoi avoir choisi le nom « Evangelium 2033 » pour votre groupe de réflexion? Et quel est l’objectif du groupe?
Christophe D’Aloisio: Il y a deux éléments dans ce nom. L’année 2033 a évidemment une portée symbolique: on n’a pas de datation très précise de la naissance du Christ, ni de sa mort et de sa résurrection, mais l’an 1 marque le commencement de l’ère chrétienne; l’an 2033 marque donc les 2000 ans après la résurrection du Christ. Quant au mot « Evangelium », il se réfère bien sûr à ce qui surgit en l’an 33, à savoir l’Evangile qu’apporte le Christ. On a repris le terme en latin pour faire référence à une compréhension peut-être plus ancienne du terme. Certains mots ont pris d’autres significations dans l’histoire, des significations parfois rigides, c’est le cas du mot « évangile », comme du mot « église ».
Notre groupe a pour objectif de réfléchir à la façon de redonner sens à un engagement chrétien, de retrouver, par-delà les scories de l’histoire, ce qui fait l’essentiel du message évangélique. Nous voulons ébaucher un travail dans ce but, en posant des questions. Cela ne signifie pas qu’on ait toutes les réponses, loin de là. Mais poser des questions, c’est déjà faire avancer la recherche.
Antonin le Maire: Une question que nous posons, c’est de savoir comment l’Evangile sera annoncé en 2033. C’est un défi: comment faire passer cette bonne nouvelle? Nous réfléchissons aussi à une autre manière de faire Eglise, un peu dans le sens de ce qui se fait au synode. Nous sommes un peu dans la même dynamique finalement. Nous nous demandons comment la gouvernance dans l’Eglise peut être partagée avec les femmes, avec les laïcs, ceux qui sont un peu éloignés…
Comment, justement, annoncer l’Evangile à nos contemporains, surtout celles et ceux qui n’appartiennent pas ou plus à une Eglise?
AlM: Je n’ai pas de réponse définitive à cette question. Notre groupe entend se mettre à l’écoute de l’Esprit. Nous pouvons partir du lien qu’un certain nombre de personnes a encore la foi chrétienne. Je pense au patrimoine culturel des églises, aux célébrations-clés comme des funérailles, des rites de passage comme le baptême. On peut aussi se demander comment réinvestir les structures qui ont encore une dénomination chrétienne: hôpitaux, écoles, universités… Il y a également des projets sociaux d’inspiration chrétienne, amicaux, mais qui perdent parfois un peu le lien avec la foi.
CDA: Pour répondre à cette vaste question, nous avons identifié un certain nombre de chantiers prioritaires, dans lesquels le groupe souhaite s’investir dans un avenir proche. L’un d’entre eux est le mode d’administration de l’Eglise, une question qui traverse d’ailleurs les différentes Eglises, catholique, orthodoxe, protestante. Evangelium 2033 – qui n’est pas l’émanation d’une hiérarchie pastorale ou d’institutions universitaires –, est d’ailleurs un groupe pluriel sur le plan des traditions chrétiennes. Il s’est voulu œcuménique dès sa fondation. Non pas pour couvrir l’ensemble du christianisme dans une volonté de représentativité, mais pour nous enrichir de la vision théologique et du vécu les uns des autres. Les phénomènes de cléricalisme, par exemple, sont extrêmement multiformes, et les différentes traditions chrétiennes les affrontent différemment. Idem pour les questions d’administration. On n’a pas le même type de gouvernement d’Eglise dans toutes les traditions, mais toutes sont en réflexion sur les questions de gouvernement interne.
Le 20 novembre prochain, nous allons nous pencher tout particulièrement sur cette question de ce qu’on appelle aujourd’hui la « gouvernance », dans le cadre d’une soirée à Louvain-la-Neuve ouverte à tous*. L’intervenante principale sera catholique, mais il y aura aussi un répondant orthodoxe et une répondante protestante.
On observe une désaffection certaine par rapport aux rites de passage, déjà évoqués plus haut. Comment réagir par rapport à cette situation?
CDA: Dans notre groupe, nous faisons le constat d’une certaine panne de la transmission, liée aux formes d’organisation ou de fonctionnement de l’Eglise aujourd’hui. Les « rites de passage » qu’on connaît dans toute communauté humaine, et pas seulement dans les Eglises d’ailleurs, connaissent une décroissance assez forte. Relativement peu de gens sont baptisés, et parmi ceux qui sont baptisés, une minorité de cette minorité continue d’assumer le baptême dans une participation liturgique régulière. Les mariages selon des formes rituelles chrétiennes sont également en diminution. Globalement, on constate que cette approche pastorale assez classique des sacrements, dans la plupart des traditions chrétiennes, est aujourd’hui battue en brèche par la réalité des faits.
On se dit dès lors qu’il faudrait réfléchir à une manière de redonner du sens à ces moments de rencontre que sont les rites. Ces moments continuent d’exister pour un certain nombre de personnes, mais ils ne parlent plus à nos contemporains. C’est-à-dire qu’ils ne permettent pas aux personnes qui rencontrent un visage de l’Eglise à ces moments-là d’y discerner la personne du Christ de manière suffisamment éloquente que pour rester en contact régulier avec cette réalité ecclésiale. On se dit qu’il faut réfléchir à cela, c’est-à-dire redonner sens à ces moments tout en n’ayant pas une attitude de négation de leur signification théologique ancienne. Nous n’avons pas l’ambition de réformer la notion de baptême; nous pensons au contraire qu’il y a une sorte d’invariant dans toutes les traditions chrétiennes autour de l’entrée dans la Communauté et de l’initiation chrétienne. Mais comment lui donne-t-on sens au travers de l’histoire et dans la diversité des traditions chrétiennes? Comment rester à la fois fidèle à la tradition et faire en sorte que ces moments soient signifiants pour l’être humain d’aujourd’hui?
🎧 Réécoutez l’émission « Décryptages » consacrée à Evangelium 33, avec la participation de Serge Maucq, membre du groupe de réflexion
Comment les chrétiens peuvent-ils contribuer à répondre aux défis actuels de notre société, tels la transition climatique, la grande pauvreté, la migration, des questions éthiques…?
AlM: D’abord, il s’agit de prendre au sérieux ces questions, de ne pas fuir ces défis en tant que chrétiens, mais au contraire les porter et aussi laisser éclairer notre réflexion par la foi, par la lumière de l’Evangile. Je pense que la parole de Dieu éclaire toutes les réalités, comme la crise climatique ou la grande pauvreté. Ce serait une erreur que d’aller chercher un programme d’action concrète dans l’Evangile, mais il contient des éléments éclairants. Mais dans la tradition, il y a des documents qui émanent de l’Eglise catholique, comme l’encyclique Laudato si’ sur l’écologie. Il ne s’agit pas de proposer une espèce de dogme nouveau, ou de dire que nous avons, seuls, la solution. Si on a des pistes, il faut les partager, mais les chrétiens ne vont pas y arriver tout seuls… L’attitude à adopter, c’est peut-être de faire part d’une espérance, partager une énergie, une conviction.
CDA: Au sein de notre groupe, il nous paraît indispensable d’être à l’écoute de la société d’aujourd’hui, sans tabou. Les chrétiens ont quelque chose à dire sur ces différentes questions, qui relèvent à la fois du politique et du social, sans que leur parole ne coïncide forcément avec celle des cadres institutionnels d’Eglise. Dans les réponses à apporter, il faut distinguer l’essentiel du secondaire. Nous pensons qu’il serait important de renouveler la méthode d’approche de ces différentes questions. En Belgique francophone, on a souvent lié les réponses à ces questions aux actions des corps intermédiaires à référence chrétienne. Avec, parfois, une certaine forme d’attachement à conserver des structures toutes temporelles. Mais il ne faut pas rester attaché aux structures lorsqu’elles ne sont pas indispensables. Si d’autres font certaines choses mieux qu’eux, cela ne sert à rien que les chrétiens s’attachent à les accomplir.
Par exemple, si le système de santé publique était parfait en Belgique francophone, il n’y aurait pas vraiment de raison qu’il y ait des hôpitaux catholiques. Mais ceux qui existent apportent un service qui, à mon sens, reste irremplaçable dans la société belge francophone d’aujourd’hui. Parmi les acteurs de ce maillage associatif, ceux qui sont chrétiens s’y engagent dans une dimension de service. D’ailleurs, il faut toujours remettre la notion de service au centre et montrer à la société que ce n’est pas par esprit de conquête que les chrétiens agissent au sein de la société, mais par esprit de service. Et quand le service n’est plus nécessaire, selon le principe de subsidiarité, il faut laisser la place à ceux qui font mieux et voir si l’on ne pourrait pas être davantage utile ailleurs.
Par contre, nous pensons qu’il y a chez ceux qui portent ou qui chérissent le message évangélique, une attention à l’humain dans sa dimension intégrale qui, parfois, est oubliée aujourd’hui. Et nous pensons qu’il y a aujourd’hui des domaines de la société où le caractère intégral de l’humain peut être négligé, et où la vigilance des chrétiens peut constituer un apport à la culture.
Une dernière question: quel type d’Eglise rêvez-vous de voir advenir dans notre société en transition?
CDA: La réponse pourra vous étonner, mais je dirais qu’il faut une Eglise vraiment « catholique ». Je n’entends pas ici l’adjectif dans un sens étroitement confessionnel, mais au sens théologique de la catholicité à laquelle toute Eglise est appelée. La catholicité, c’est que tous, « hommes et femmes, Juifs et Grecs, esclaves et hommes libres », tous ceux qui peuvent être aujourd’hui séparés par des barrières dans la société, puissent, s’ils la cherchent, trouver leur place dans la communauté ecclésiale.
AlM: Pour moi, l’Eglise, ce n’est pas un rêve éveillé, un rêve impossible. Dans un monde en transition, il y a énormément de besoins. Nous devons être présents pour y répondre, mais sans prétendre occuper tout l’espace. Il s’agit plutôt de lancer une dynamique dans le temps, un peu selon l’idée du pape François qui dit que le temps est supérieur à l’espace. Initier une dynamique qui va se prolonger dans le temps a plus de valeur que de gérer des territoires où on contrôlerait tout. Pour moi, l’Eglise, doit initier des dynamiques en y participant. Elle peut apporter une couleur évangélique à cette transition. Parce qu’un monde en transition, c’est un peu une formule neutre. Il y a énormément de choses qui changent dans le monde. C’est à la fois nouveau et banal. Le monde change tout le temps, et quand on est à un carrefour, est-ce qu’on se laisse éclairer par notre espérance, notre spécificité chrétienne?
Mon rêve c’est aussi que l’Eglise dise ce qu’elle a à dire et que le monde attend d’ailleurs. Même si elle peut gêner, une parole est attendue. Si on la dit sereinement et qu’on montre un exemple, sans poser un jugement sur les personnes, on montre qu’on sait dans quelle direction aller lorsqu’on est au carrefour. Et si le monde prend une autre direction, on reste quand même avec les personnes, mais on n’a pas peur de continuer à montrer un chemin, même si on est peu écoutés. Le Christ non plus n’était pas beaucoup écouté de son temps et pourtant il a vraiment porté le salut au monde.
Ce n’est pas la taille ou le nombre, ou le fait qu’on fasse pression qui compte, mais notre force de conviction. Nous devons être « une minorité signifiante ». L’idée n’est pas de reconquérir des territoires où une masse de personnes comme membres d’une Eglise ou d’une autre, mais d’être signifiant de façon à pouvoir participer à cette transition d’une manière qui peut mener le monde vers un mieux. Même si beaucoup disent que le monde va à sa perte, je crois que cette transition est également une chance.
Propos recueillis par Christophe HERINCKX
- « Quelle gouvernance pour nos Eglises à l’horizon 2033? »: venez échanger le lundi 20 novembre de 17h à 19h30 à l’église Notre-Dame d’Espérance, 1A Place du Plat pays à Louvain-la-Neuve (salle haute). Avec la présence de Laetitia Calmeyn, la pasteure Isabelle Detavernier et André Rezohazy, paroissien orthodoxe. Ouvert à tous.