Ce mercredi soir, la RTBF diffuse plusieurs épisodes de la série de la VRT Godvergeten. Au-delà de l’émotion qui risque d’être vive en Belgique francophone, quels sont les faits que soulève le documentaire? Eléments de réponse au départ de cinq questions.
Quelles sont les forces et les limites de Godvergeten?
Godvergeten est une série en quatre épisodes qui a été diffusée en Flandre en septembre-octobre, et qui donne la parole à une vingtaine de victimes d’abus sexuels commis dans l’Eglise. La démarche n’est pas d’abord journalistique: l’objectif n’est pas de fournir une étude détaillée sur la façon dont les abus ont été commis ni d’expliquer comment les dossiers ont été gérés par l’Eglise. La démarche vise plutôt à donner la parole aux victimes. Elle permet notamment de mesurer l’ampleur des blessures provoquées par des actes commis il y a souvent longtemps. Parallèlement, les auteurs du documentaire entendent montrer que l’Eglise n’a pas pris en compte les victimes au cours des dernières années – telle est en tout cas la thèse qu’ils défendent.
Une des limites de la démarche tient précisément dans le fait que le travail entrepris par l’Eglise pour reconnaître et dédommager les victimes, et pour lutter contre les abus, n’apparaît pas à l’écran. En outre, les victimes entendues dans le reportage ne sont pas représentatives. "Il y a beaucoup de victimes qui nous ont remerciés de leur avoir permis d’exprimer leur souffrance", indique Mgr Herman Cosijns, ancien secrétaire général de la Conférence épiscopale belge, qui a écouté plus de 300 victimes.
Comment les victimes ont-elles été écoutées par l’Eglise depuis 2011?
En 2011, un problème se pose: il apparaît que la majorité des faits commis sont prescrits par la loi. C’est pour pallier cette difficulté que la commission parlementaire crée un Centre d’arbitrage en matière d’abus sexuels. L’Eglise soutient pleinement cette initiative. "C’est un geste fort et inédit des autorités religieuses de Belgique qui reconnaissent les victimes d’abus sexuels", souligne alors Karine Lalieux, présidente de la commission. 628 requêtes seront introduites. A côté d’experts, un représentant de l’Eglise prend le temps d’écouter chaque victime, de dénoncer les faits, et de présenter des excuses. Des compensations financières, dont le montant ira de 2.500 à 25.000€, sont décidées par les experts et payées par l’Eglise. Si certaines victimes trouvent le montant insuffisant, une majorité se montre satisfaite de la procédure. En 2017, cette procédure d’arbitrage est clôturée.
Parallèlement à la commission d’arbitrage, l’Eglise ouvre dans chaque diocèse un point de contact, placé sous la présidence d’un laïc. Ces points de contacts existent encore aujourd’hui. Au fil des ans, ils permettront la reconnaissance de nouvelles victimes – et le versement de nouvelles indemnités. Chaque année, l’Eglise communique sur le nombre de plaintes et invite explicitement les victimes à se faire connaître.
Naturellement, lorsque les faits en cause ne sont pas prescrits par la loi, c’est la justice seule qui fait son travail.
Tout savoir sur la façon dont l'Eglise gère la problématique des abus sexuels en son sein
Est-ce que l’Eglise de Belgique en fait assez pour accompagner les victimes?
Certains reprochent à l’Eglise de s’être ingérée dans la gestion des dossiers. Le reproche tient difficilement la route puisque l’Eglise n’a fait que suivre les conclusions de la commission parlementaire de 2011. Si elle ne l’avait pas fait, ne le lui aurait-on pas reproché? En outre, elle a pris soin de travailler de concert avec des experts issus de différents domaines. D’autres regrettent que les montants versés n’aient pas été plus élevés. Rappelons que ces montants ont été déterminés par des experts indépendants et non par l’Eglise.
Parallèlement, du côté ecclésial, on tient à rappeler que, juridiquement, rien n’obligeait l’Eglise à payer pour des crimes prescrits. Et qu’elle est la seule organisation à avoir procédé de la sorte. "Des personnes ayant été victimes d’abus hors cadre ecclésial sont un peu jalouses: elle trouvent injuste que les victimes d’un prêtre reçoivent de l’argent, et pas les victimes d’un entraîneur sportif", entend-on. Les responsables ecclésiaux insistent aussi sur le fait qu’ils ont toujours fait le pari de la confiance – sans investiguer pour évaluer la véracité des témoignages.
Il n’empêche, la question demeure: l’Eglise en a-t-elle fait assez? "Face à de telles situations de souffrance, on ne fait jamais assez", résume Tommy Scholtes, porte-parole des évêques de Belgique. "Sans doute aurions-nous pu faire mieux. Mais nous avons sincèrement fait de notre mieux."
Comment les auteurs d’abus sexuels sont-ils traités?
Si, au fil des ans, l’Eglise a largement communiqué sur la façon dont les victimes étaient reçues et indemnisées, sa communication s’est révélée plus laconique en ce qui concerne les abuseurs. Elle tient aujourd’hui à assurer que toute personne suspectée d’abus sexuels est immédiatement suspendue, et qu’elle est écartée en cas de condamnation. "Au cours des dix dernières années, l’Eglise ne s’est plus jamais contentée de déplacer un abuseur", garantit Herman Cosijns. De même, l’éventuelle réintégration d’une personne ayant purgé sa peine ne se fait qu’après avis du Parquet et en étroite liaison avec un conseil de supervision composé d’experts.
Une difficulté se présente toutefois: ce n’est parfois que par la presse qu’un évêque apprend une décision judiciaire concernant un de ses prêtres. Chaque fois qu’elle le peut, l’Eglise se constitue partie civile afin d’avoir un accès direct au dossier.
Reste le cas emblématique de Roger Vangheluwe, l’ancien évêque de Bruges. Si le Vatican a pris de dures mesures à son égard (enfermement dans une abbaye, interdiction de visite, suivi psychiatrique…), il n’a pas décidé de le réduire à l’état laïc. "Mais si tel était le cas, les autres sanctions disparaîtraient et il redeviendrait libre", rappelle Tommy Scholtes.
Roger Vangheluwe va-t-il rester évêque?
Quelles pourraient être les suites de Godvergeten?
Après la diffusion de la série en Flandre, des commissions parlementaires ont déjà été créées, tant au niveau flamand qu’au niveau fédéral. Sur quels types de décisions leurs travaux pourraient-ils déboucher? Une idée circule: la création d’une instance publique ouverte à toutes les victimes d’abus, et apte à financer des frais thérapeutiques dans la durée – ce que ne prévoyaient pas les procédures d’arbitrage. "Nous y sommes favorables", soutient Herman Cosijns. "Dès qu’un abus concernerait un membre de l’Eglise, nous collaborerions naturellement avec pareille instance."
Vincent DELCORPS