Régulièrement sous les feux des projecteurs de l’actualité, Anne Gruwez n’a pas son pareil pour interpeller et bousculer ses interlocuteurs. Pour elle, seuls les faits priment. Cette fois, elle se livre sur ses propres convictions.
La juge Gruwez en est convaincue, "il y a toujours une place pour aimer ce que l’on fait". Autrement dit, quel que soit le métier exercé par la force des choses, il y a moyen de le rendre attractif. Voilà la conviction qu’elle ne cesse de partager à ses "clients". Entendez les prévenus ou accusés qu’elle côtoie.
Dans son cas, le fait de devenir juge d’instruction ne relève pas de goûts particuliers, mais plutôt des circonstances. Droit civil, administratif, constitutionnel… et puis la voilà devenue, sans l’avoir choisi, juge d’instruction, spécialisée en droit pénal.
Issue du côté maternel de familles bourgeoises catholiques et francophones de Flandre, avec un arrière-grand-père qui fut le dernier recteur francophone de l’université de Gand et un autre arrière-grand-père procureur du roi dans la même cité, Anne Gruwez a connu le passage du français au néerlandais dans la ville de Gand. Il lui en demeure une pointe de nostalgie. "Je rêve de citer les poèmes flamands, parce que c’est ma terre, c’est mon pays, quoique je suis de Bruxelles."
Anne Gruwez, profondément altruiste
"J’aime les gens et ils me sauveront de moi-même. Si j’ai une tristesse en moi, je me tourne vers les autres pour chercher leur soutien." Celle qui se définit comme mécréante rêve de découvrir l’arbre de la connaissance "dont les écritures enseignent que nous avons été chassés".
Agacée par les feuilletons télévisés policiers, truffés d’erreurs, elle raffole, en revanche, des romans policiers psychologiques, comme ceux d’Agatha Christie ou de Simenon. Parmi ses centres d’intérêt, elle cite l’architecture bruxelloise, les brocantes où elle chine "des brols", du style des années 1950-1970, des objets en imitation bakélite de couleur jaune pour décorer sa cuisine. En plus des boucles d’oreille, la juge Gruwez aime "ce qui est représentatif de son époque". De son totem chez les guides – écureuil au pays des merveilles – elle a conservé le côté rêveur, elle qui marche le nez en l’air.
Une reconnaissance médiatique tardive
Anne Gruwez a pris part à deux épisodes de l’émission Strip tease. "En 2002, les autorités judiciaires avaient accepté d’ouvrir la justice à la vision de gens sérieux." En 2017, elle participe au documentaire Ni juge ni soumise, honoré deux ans plus tard par le prix du meilleur documentaire aux César et aux Magritte. Toutefois, elle n’a jamais signé un document autorisant l’utilisation de son image ni touché un euro à la suite de ces prises d’image. "J’ai payé et de ma personne et de mes biens", nous assure-t-elle. Ni juge ni soumise est "une réalité qui a été bien montée".
Revoir ce documentaire Ni juge ni soumise en Auvio (RTBF)
De ses nombreuses interventions dans les médias, Anne Gruwez estime que la responsabilité est à rechercher de leur côté. "C’est dommage que cela ne m’arrive qu’à 60 ans!", s’exclame-t-elle, avant d’ajouter: "Il ne faut pas prendre goût aux choses qui ne dépendent pas de soi." Sans oublier une bonne dose d’humour, "pour accepter tout ce que les autres peuvent éventuellement vous imposer". Dans le bureau du juge d’instruction, "si je dois asticoter quelqu’un, c’est pour le faire rire. Vous ne pouvez pas tuer quelqu’un avec lequel vous avez ri!"
Cet été, Anne Gruwez a animé sur VivaCité des émissions carrément intitulées Face à la juge Gruwet. Dans ce cadre, elle a interviewé, avec joie, 27 personnalités. "J’ai du goût pour la belle formule", reconnaît-elle, ravie de l’exercice.
La prison, et après?
A la question de savoir quel est le rôle de la prison, Anne Gruwez répond: "Donner un coup d’arrêt, un coup de massue. Placer quelqu’un sous mandat d’arrêt n’est pas difficile. Le tout est de le sortir de là, dans de bonnes conditions. Je rêve de pouvoir placer quelqu’un en prison en concluant avec lui un contrat de vie, qui serait simplement formulé par la personne et dans lequel j’interviendrais pour dire s’il est ou non raisonnable." La juge Gruwez a un côté pédagogique assumé. Elle le reconnaît, il lui arrive de recommander un passage chez le dentiste à un prévenu.
Face à certains récidivistes, elle peut connaître de l’énervement, mais jamais de découragement. "Vous n’êtes pas fait pour voler, vous vous faites reprendre chaque fois!", leur lance-t-elle alors. Et d’ajouter: "Il y a une chose dans la vie qu’on doit bannir, qui tue plus sûrement qu’un poignard, c’est le mépris. Je suis capable de ‘tuer’ quelqu’un qui se montre méprisant, devant moi, vis-à-vis de quelqu’un d’autre."
L'être humain peu changer chaque jour, voire chaque heure
Anne Gruwez
Dans les prisons, elle déplore l’absence d’agents riches d’une longue expérience humaine. Estimant que "la vie est en mouvement", Anne Gruwez a foi "en la possibilité de l’être humain de changer tous les jours, voire chaque heure". Et d’énoncer: "Ce n’est pas la longueur de la peine qui va réparer le dommage qui a été commis". Sans oublier, qu’il y a "l’accident dans la vie. Un accident dont quelqu’un est coupable. Si la longueur de la peine doit dépendre du sentiment d’injustice des victimes, on retourne à la vengeance privée. Or la justice a été organisée pour éliminer ‘œil pour œil, dent pour dent’." Et d’ajouter: "Je ne pense pas que les gens puissent recevoir une chance, mais qu’ils doivent la prendre. Il faut prendre le risque de la chance. Or les gens thésaurisent ce qu’ils ont…"
Conseiller le pouvoir, sans l’exercer
"Souvent, on impose à la justice la mission d’éduquer les gens par la sévérité d’une peine ou d’un comportement. C’est une erreur." Poursuivant la réflexion, elle ajoute: "L’humanisation passe par la proximité du juge. On nous demande d’enseigner, d’éduquer et d’instruire, mais on nous supprime le dialogue avec le petit peuple dont je fais partie." De là à rejoindre un parti politique, comme les Engagés par exemple, Anne Gruwez avance son âge pour réfuter toute tentation de "gérontocratie"! "Je ne suis plus éduquée, enseignée et instruite de la même manière que les jeunes - qui n’ont pas de passé mais un avenir." Ce qui ne l’empêche pas de rester disponible pour la justice en cas de besoin. Et d’assurer, de manière hebdomadaire, des consultations populaires au Kamiano, le restaurant des sans-abri de Sant’Egidio, de participer à des maraudes, également dans la mouvance de Sant’Egidio… Sans oublier l’un ou l’autre rendez-vous… en radio.
Angélique TASIAUX
Ecoutez l’interview d’Anne Gruwez dans l’émission Pleins feux sur www.cathobel.be.