L’ancien coprésident d’Ecolo, Jean-Michel Javaux évoque son parcours professionnel. Le bourgmestre d’Amay en fin de mandat revient aussi sur ses jeunes années et des épreuves qui l’ont marqué. Sans oublier ses motivations, ses envies, ses convictions aussi.

De nature conviviale, l’homme politique répond aux multiples questions avec spontanéité, sans tabou ni langue de bois. Installé dans la ville mosane d’Amay, celui qui se reconnaît des aptitudes à gérer les moments de crise admet perdre ses moyens face à « l’intolérance basée sur une absence de curiosité ». Et d’ajouter: « On devient vieux quand on n’a plus envie d’apprendre. »
Pourquoi avoir étudié les sciences politiques à l’ULB et non pas à Namur ou à Liège, plus proches de votre domicile?
Il faut revenir aux racines familiales. Côté maternel, mon grand-père était croyant et président de fabrique d’église. Mon arrière-grand-oncle était d’ailleurs le dernier bourgmestre non socialiste de la commune d’Amay. Du côté de mon père, ils étaient des indépendants commerçants, plutôt libéraux. J’ai fait mes primaires à Sainte-Ode et mes humanités au petit séminaire du collège Saint-Quirin à Huy. Mon papa a insisté pour que j’aie les deux courants et ne reste pas dans le pilier catholique. Entre les deux, je suis parti en échange aux Etats-Unis, dans l’Etat de New York.
Le fait d’étudier à l’étranger, était-ce important?
Contrairement à ce que vous pourriez croire, j’étais assez timide et introverti. En taille, j’avais 15 centimètres de moins que les autres… Familialement, mes parents n’étaient pas toujours là, ils étaient très occupés, même s’ils m’ont soutenu dans mes études. C’est surtout ma grand-mère et ma sœur qui m’ont élevé. L’année aux USA m’a donné confiance en moi. Ensuite, en Angleterre, c’était fascinant, j’y ai suivi un séminaire avec des Palestiniens et des Israéliens. Une expérience à l’étranger donne plus d’expérience et d’ouverture.
Quels étaient vos idéaux en vous engageant dans une carrière politique?
Je suis parti du combat étudiant, après avoir débuté l’université l’année où le montant du minerval a été doublé. Plein d’étudiants étaient alors en difficulté. J’ai commencé avec deux mois de grève, en solidarité avec ceux qui ne pouvaient pas payer. De chouettes profs – de différentes sensibilités –nous avaient dit: ‘si vous ne manifestez pas maintenant, vous ne le ferez jamais’. Je suis arrivé ‘dans l’indignation politique’ par le mouvement étudiant et les organisations de jeunesse, puisque j’étais président d’un Patro. On y accomplissait un travail gigantesque de cohésion sociale avec une centaine d’enfants, mais nous ne recevions rien de la commune. Au début des années 1990, il y a eu une prise de conscience écologique. Ecolo était un nouveau parti, qui parlait aux jeunes, avec un coup de fraîcheur et une question qui n’était pas à l’agenda des autres partis politiques. Puis, la rencontre avec Jacky Morael a été déterminante et salutaire.
Avez-vous connu des moments de frustration?
Oui, mais je mets rapidement dans un tiroir les moments compliqués ou illogiques, pour essayer de construire quand c’est possible. Aujourd’hui, c’est toutefois de plus en plus difficile avec l’immédiateté des réseaux sociaux. Ce qui me navre le plus, c’est de devoir amener des réponses binaires, en une phrase, à des problèmes qui sont giga complexes. Or, nous avons un impact sur les futurs choix d’aménagement du territoire! Nous devons retenir des crises, mais les écolos ont parfois un ton trop moralisateur. Il faut faire société. Je crois aux alliances, y compris de forces différentes pour amener à des solutions. Les bourgmestres voient d’ailleurs bien qu’il faut en apporter rapidement. C’est important de casser l’image selon laquelle les élus politiques sont déconnectés des gens. Je leur dis: « Engagez-vous, créez un mouvement, lancez-vous dans le parti! » Il y a trop de spectateurs pour l’instant et plus assez de spect-acteurs.
Auriez-vous pu vous présenter sur une autre liste que celle d’Ecolo?
Quand je me suis engagé chez Ecolo, cela a été une évidence en raison du mouvement et des personnes qui l’incarnent.
Il y a quelques années, vous vous êtes réunis avec d’autres politiciens et personnalités du monde économique ou de la société civile dans E-change, un groupe de réflexion…
L’idée était d’avoir des personnes qui venaient de la société civile, du milieu académique pour alimenter la réflexion et sortir des réponses trop partisanes. Il y avait une dizaine de groupes. Mais des projets et des agendas différents d’acteurs politiques et des courses au « buzz » des journalistes ont effrayé les acteurs de la société civile. Je continue de penser que l’idée était bonne et que nous avons besoin d’avoir des groupes de réflexion qui dépassent les partis. Les Flamands le font beaucoup, notamment sur la mobilité et leur avenir institutionnel.
Est-il possible de suivre le bien commun en politique?
C’est le but! Au moment où on s’en écarte, il faut bien réfléchir à ses convictions et à son engagement. Le plus gros enjeu est de ne pas nécessairement mettre le disque que les gens ont envie d’entendre. Or ce n’est pas évident, puisque le temps politique est beaucoup plus court que le temps économique ou écologique. Mais l’intérêt général n’est pas l’addition d’intérêts particuliers. Nous n’allons pas voir suffisamment les bonnes pratiques dans d’autres pays ou régions.
Comprenez-vous les craintes suscitées par l’EVRAS, l’Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle?
Je comprends les craintes, parce qu’elles sont alimentées par les fake-news. Comme pendant la période du Covid, on voit de plus en plus de sites et de réseaux alternatifs structurés qui font de la désinformation. Cela demande donc encore plus de pédagogie, d’explication et de débat. L’EVRAS est très important, avec deux heures en sixième primaire – pas avant! – et deux heures en quatrième secondaire. Il ne faut pas stigmatiser les comportements, mais en parler. Et c’est mieux qu’un enseignant soit formé en ayant des guides, plutôt que de le faire au cas par cas. Mes parents ne m’en ont jamais parlé, comme plein de gens. C’est le rôle de l’école d’avoir des gens formés qui le font.
Le danger qui pèse sur les cours de religion dans l’enseignement officiel vous inquiète-t-il?
Non, j’ai toujours été pour un cours d’apprentissage aux différents courants philosophiques et religieux. D’autant plus qu’assez rapidement en secondaire le cours de religion se transforme en cours de philosophie. Notre pays neutre a ses cultes reconnus et financés. Nous aurons encore besoin des professeurs de religion pour donner ces différents cours.
Estimez-vous l’Eglise dans son rôle quand elle monte au créneau sur des débats éthiques ou moraux débattus par les parlementaires?
L’Eglise est dans son rôle quand elle se lève contre la pauvreté, pour la tolérance, sur l’aide aux migrants… Mais j’ai connu trop d’avortements clandestins. Que l’Eglise donne son avis sans faire de pression morale sur les élus, toute structure peut le faire. C’est fini l’époque où l’évêque choisissait le Premier ministre! Sinon on risque d’avoir des mauvais procès sur l’implication des Eglises dans la vie politique.
Vous avez annoncé ne plus vous représenter comme bourgmestre aux prochaines élections. Alors, comment envisagez-vous votre retraite?
Je n’arrête pas toute implication dans la vie publique. Celle-ci peut prendre différentes formes! J’adore susciter la créativité et les vocations! Il faut repolitiser les débats, pas les ‘particratiser’.
Est-ce une force de côtoyer tous les milieux sociaux?
J’aime ne pas être uniquement avec des gens qui me ressemblent. La buvette du samedi après-midi au football est importante pour moi. Elle est un microcosme. Entendre des points de vue différents empêche d’être trop corporatiste.
Le Standard, c’est votre club de cœur…
Oui, c’est dans le sang! Je joue toujours en amateur vétéran! Le foot est un vecteur universel. C’est par le foot que je me suis fait des amis aux Etats-Unis ou en Afrique. J’aime le dialogue sociétal du sport. Il y a tout un rôle de communauté et de gros engagements de solidarité. Le Standard est un club ouvrier, qui garde cet aspect populaire. J’y suis le seul administrateur belge.
Propos recueillis parManu VAN LIER et Angélique TASIAUX
Retrouvez Jean-Michel Javaux dans l’émission Pleins feux, en podcast sur www.cathobel.be
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Jean-Michel Javaux intime
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Comment avez-vous géré l’addiction à l’alcool de votre maman?
Cela évolue. Quand on est jeune et ado, on en est gêné. On a peur d’amener des copains et on ne comprend pas toujours les comportements. Ma maman était très belle et charismatique. Quand elle était en forme, elle était géniale. Et puis, quand elle n’allait pas bien, j’avais toujours peur de ce qu’elle allait faire ou dire et de ce qu’on allait trouver. J’étais un peu trop jeune pour prendre le problème en main et papa était parfois absent pour le boulot en semaine. Le week-end, on ne voyait pas les parents. En fait, l’alcoolisme est une maladie. J’y suis confronté en tant que bourgmestre, mais aussi dans d’autres endroits. Parfois, on entend des raccourcis trop faciles: ‘ils n’ont qu’à se soigner, aller à l’hôpital…’ Maman a été quatre fois en cure. Comme pour d’autres addictions, il n’y pas de réponses simples, uniquement liées à la volonté de la personne. Il faut un entourage, une équipe pluridisciplinaire… A l’époque, il y avait beaucoup de pudeur et de retenue, ce qui empêchait de mettre des mots sur des situations compliquées. On faisait bonne figure à l’extérieur, on donnait le change, mais on ne résolvait pas le problème. J’ai appris de cette expérience pour ne pas caricaturer la réponse. Et maintenant, avec ma sœur, on en parle souvent.
Connaître une faille pendant l’enfance ou l’adolescence rend-il plus sensible aux autres?
Oui. Il y a aussi le sentiment que cela peut basculer très vite. On va vers l’essentiel. On ne peut pas faire de hiérarchie de souffrance. Mais notre société ne laisse pas beaucoup de place à l’accompagnement, au deuil… Les parents ont droit à trois jours de congé, le parrain à une demi-journée de funérailles. La mort reste un tabou.
Le fait d’avoir, justement, connu des deuils proches, dont celui de votre fils Théo, vous a-t-il fait grandir en humanité?
Nous avions des sources pour avoir un peu de recul philosophique. L’oncle de mon amoureuse était curé; il nous avait emmenés en pèlerinage. C’est d’ailleurs à Lourdes que nous avons appris que mon amoureuse était enceinte. Après un deuil, il y a souvent une phase agressive et de révolte. Ensuite, il y a celle de l’introspection et de la mélancolie. Et après, on se reconstruit en essayant que d’autres personnes ne vivent pas les mêmes drames. On cherche à sortir la tête hors de l’eau en aidant… J’ai besoin d’aller au cimetière tous les jours, mon amoureuse à certaines dates-clefs.
Comment gérez-vous cette différence d’engagement avec votre amoureuse?
Nous en avons toujours beaucoup parlé ouvertement. Cela m’a aussi permis d’aller lire les autres religions. C’est pour cela que je suis mal à l’aise avec tous les débats actuels. La Belgique est un Etat neutre, qui reconnaît ses courants religieux et philosophiques, qui aide à l’exercice du culte dans ses églises… Or plus on ‘laïcise’ un pays, plus on crée des problèmes. On le voit en France avec une montée gigantesque de l’extrême droite.
Avez-vous accompli un coming-out catho?
Non, je n’ai jamais dissimulé que j’étais catholique, dès mon élection à la présidence en 2003. Je ne cache pas que je crois en Dieu, si on me pose la question. Ce qui est le plus important, c’est de parler avec ses tripes, de ne pas calculer en fonction de la personne qu’on a en face de soi ou du public que l’on veut toucher. Pour durer longtemps, il faut une colonne vertébrale.
Avez-vous songé à la prêtrise?
Oui, j’y ai pensé. A Amay, nous avons un chouette curé, Thomas Sabbadini. Et parfois, on trouve que nous nous ressemblons beaucoup, avec des missions différentes. Nous avons un même goût de la communication, des réseaux et des médias. J’aurais pu être prêtre, bourgmestre, homme politique ou avocat. J’adore convaincre ou échanger avec des personnes qui ne pensent pas comme moi; j’aime bien prêcher et utiliser un espace pour faire passer des idées dans les moments de recueillement. Je connais beaucoup de gens qui auraient pu envisager la vocation, mais le célibat les a freinés. C’est aussi mon cas. Je suis très lié à la famille et au couple. J’aime le cheminement, retrouver Dieu et le partage, mais je suis traumatisé par la solitude et l’isolement. Et je connais pas mal de curés qui ont de grosses difficultés avec cela. Or, on demande de plus en plus à nos prêtres, un peu comme aux bourgmestres!