Et si la Joconde était remise à neuf ? C'est à partir de cette idée loufoque ou révolutionnaire que Paul Saint Bris a conçu un premier roman captivant, au titre factuel : L'allègement des vernis.
"Il y a un moment – et il vient assez vite – où vous ne savez pas qui est le groupe qui s'affiche en lettres rouges au fronton de l'Olympia." Aurélien appartient à cette catégorie-là, celle convaincue de la vacuité de vouloir à tout prix s'adapter aux innovations. En charge du département des Peintures du Louvre, il est entré dans le musée comme dans un abri, pour en devenir "un gardien de la mémoire", malgré les hordes de touristes qui défilent devant les tableaux sans prendre le temps de les apprécier.
De tempérament nostalgique, cela n'empêche pas Adrien de se trouver aux prises avec les exigences d'un marketing insatiable de nouveautés. Un courant incarné en la personne de la présidente des lieux, Daphné Léon-Delville, dont le crédo repose sur les seuls chiffres de la billetterie de la vénérable institution. Et suivant les conseils avisés de la CAMP, l'agence Culture Art Média Patrimoine, quoi de plus vendeur qu'un rajeunissement d'une icône universelle, création sublimée de Léonard de Vinci ?
Avec L'allègement des vernis, les amateurs d'art seront ravis de retrouver l'atmosphère en apparence feutrée des lieux dédiés aux œuvres d'art. L'occasion aussi de découvrir des portraits bien campés de différents professionnels en charge de ces nouveaux temples. Les enjeux de la politique culturelle traduisent, en effet, l'adhésion plus large à une vision du monde.
Focus sur des métiers de l'ombre
Dans une galerie de personnages variés, Paul Saint Bris lève un coin du voile et croque notamment des restaurateurs de tableaux, ces hommes et ces femmes à la notoriété la plupart du temps ignorée qui se trouvent immergés, quelquefois durant des semaines ou des mois, dans un vis-à-vis avec des œuvres picturales. Au-delà, il s'interroge aussi sur le rapport de ses contemporains aux images, sans cesse éclipsées par une nouvelle apparition, à une époque où "plus personne n'a[vait] le temps de s'attarder sur leur sens ou leur singularité". Un tourbillon visuel aux antipodes des peintures conçues dans l'intimité d'un face à face prolongé entre un artiste et son chevalet.
Révélation, ce livre a déjà glané quelques prix depuis sa parution au printemps. Gageons qu'il ne s'arrêtera pas là !
Angélique TASIAUX
Paul Saint Bris, L'allègement des vernis. Philippe Rey, 2023, 352 p.