Fête de sainte Hildegarde de Bingen : une spiritualité de l’harmonie


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Fête de sainte Hildegarde de Bingen : une spiritualité de l’harmonie
La Trinité selon sainte Hildegarde de Bingen: Le Christ
Par Christophe Herinckx
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
6 min

Ce dimanche 17 septembre, l’Eglise fête sainte Hildegarde de Bingen. Morte en 1179, à l’âge de 81 ans, elle a été proclamée sainte et docteur de l’Eglise en 2012. Abbesse bénédictine et théologienne, mystique et musicienne,  son message spirituel, à la fois original et profondément biblique, est d’une étonnante actualité.

La Trinité selon sainte Hildegarde de Bingen: Le Christ, enveloppé par le Père, en pongé dans l'Esprit.

Dans l’Eglise catholique, le titre de "docteur de l’Eglise" constitue la plus haute reconnaissance des qualités d’un chrétien ou d’une chrétienne. Réservé à certains saints, cette distinction signifie que leur vie est un exemple de foi pour les croyants. Mais encore que leur théologie ou leur enseignement spirituel exprime le mystère chrétien d’une façon particulièrement "juste". Et ce pour toutes les époques et toutes les cultures.

En deux mille ans de christianisme, 37 fidèles ont ainsi été reconnus docteurs de l’Eglise, dont seulement quatre femmes: Thérèse d’Avila et Catherine de Sienne en 1970, Thérèse de Lisieux en 1997 et Hildegarde de Bingen en 2012. L’histoire du "doctorat" d’Hildegarde est révélatrice. Béatifiée en 1244, 65 ans après sa mort, elle ne sera jamais canonisée. Jusqu’à ce que le pape Benoît XVI, conscient de l’intérêt que l’abbesse du Moyen Âge suscite au-delà des frontières du christianisme, décide de la proclamer docteur. Pour ce faire, il la déclare d’abord sainte par une procédure "express" dite de "canonisation équipollente". C’est-à-dire sans procès de canonisation, ce qui est exceptionnel dans l’histoire de l'Eglise.

"L’ombre de la lumière divine"

Comment comprendre le regain d’enthousiasme Hildegarde, plus de huit siècles après sa mort ? Et ce non seulement dans les dans les cercles chrétiens, mais aussi au sein de différents courants culturels actuels: l’écologie, le développement personnel, les médecines douces, voire par certains courants "New age". Sans oublier l’immense intérêt que suscite son œuvre musicale.

Hildegarde est née en 1098 à Bermersheim vor der Höhe, en Allemagne rhénane. Entrée au monastère à l’âge de 14 ans, elle reçoit des visions et de révélations de Dieu. Plus tard, elle dira percevoir "l’ombre de la lumière divine" depuis l’âge de 5 ans. Ce n’est qu’avec le temps qu’elle prend conscience du caractère exceptionnel de son don mystique. Elle vit ce don comme naturellement, à travers ses cinq sens, en dehors de tout phénomène d’extase.

Trois oeuvres majeures

Hildegarde recevant l'inspiration divine, miniature du codex de Rupertsberg

Ce n’est qu’à l’âge de 42 ans qu’elle se résoudra à mettre ses visions par écrit, pour répondre à un appel explicite de Dieu. Avec l’aide du moine Wolmar, elle rédigera alors trois ouvrages de grande ampleur, étalées sur trois périodes de sa vie. Ces trois livres sont: "Connais les voies du Seigneur", le "Livre des mérites de la vie" et le "Livre des œuvres divines". Ils décrivent les révélations de la sainte, tout en interprétant leur portée symbolique et spirituelle.

Près d’un siècle avant la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin – qui alliera raison et foi dans une synthèse inégalée – ces œuvres d’Hildegarde constituent une véritable somme de théologie spirituelle en images, fondée sur une expérience de foi. Cette théologie propose une vision englobante, holistique de Dieu dans son rapport à l’humain. Celui-ci est lui-même centre et gardien de l’univers. Les trois manuscrits réunis contiennent 42 enluminures de la main de la sainte, illustrant ses principales visions.

77 chants liturgiques

Mais sainte Hildegarde a également composé deux livres de médecine, rassemblant les connaissances de l’époque relatives aux soins par les plantes. On lui doit également des homélies et une correspondance abondante avec d’importantes figures de son époque. Ce compris des papes et l’empereur germanique Frédéric Barberousse. Hildegarde n’hésite pas à critiquer ouvertement la situation de l’Eglise de son temps, notamment à travers des voyages de prédication qui ont fait date.

La sainte composa également 77 chants liturgiques, dans la tradition du plain-chant monophonique de l’époque, c’est-à-dire à une voix. Ces chants traduisent ses visions mystiques en musique. Rassemblées dans la "Symphonie des harmonies célestes", ces œuvres sont aujourd’hui disponibles à travers une abondante discographie.

A écouter : Canticles of ecstasy, chants liturgiques d'Hildegarde de Bingen

Un Feu personnel

Quel sont les principaux aspects de l’œuvre d’Hildegarde? Il y a d’abord sa vision de Dieu. Aujourd’hui, on préfère souvent une idée de Dieu comme Energie impersonnelle à celle d’un Dieu personnel. Hildegarde, elle, "voit" littéralement Dieu comme un Feu, mais un Feu vivant, Lumière et Energie personnelle, Source d’Amour vivifiant. Cette image rappelle celle du buisson ardent décrit dans le livre de l’Exode: Dieu y apparaît à Moïse comme un Feu qui ne dévore pas ce qu’il touche, et qui se nomme "Je Suis". Cette image nous rappelle que Dieu ne peut être saisi. Il ne peut être ramené à nos représentations, aussi élaborées soient-elles. Dieu est toujours au-delà de notre perception et de notre pensée.

Le cosmos, reflet de l’harmonie divine

Autre élément remarquable chez Hildegarde: sa vision de l’univers, du cosmos comme reflet de l’harmonie divine. Cette harmonie, cependant, n’est pas (encore) parfaite, car le monde est le théâtre d’un combat entre l’énergie divine et des forces contraires. Celles des puissances spirituelles qui se sont détournées de Dieu et veulent entraîner l’univers dans le chaos. Cette énergie divine, qui emplit et entoure l’univers, Hildegarde l’appelle "viriditas", terme qu’elle a inventé. Il peut être compris comme élan vital, vie de Dieu lui-même répandu dans sa création.

L’humain au centre de l’univers

Au centre de cet univers se trouve l’humain. Il apparaît comme une sorte de condensé de toute la création, et son point culminant. En tant que microcosme qui résume et reflète l’univers, l’humain est à la fois le réceptacle des énergies cosmiques et celui qui, à partir de sa propre harmonie, doit amener le cosmos à une harmonie surnaturelle. Dignité immense de l’homme, dont Hildegarde écrira qu’il est "petit par la taille de son corps, mais grand par les énergies de son âme".

Cette théologie propose une vision englobante, holistique de Dieu dans son rapport à l’homme, lui-même centre et gardien de l’univers

Retrouver l’harmonie perdue

Mais pour pouvoir mener la création à son achèvement, il faut, bien sûr, que l’humain retrouve lui-même son harmonie perdue… Harmonie de son corps, de son âme et de son esprit. Pour Hildegarde, conformément à la conception biblique de l’homme, le corps et l’âme ne sont pas séparés, mais forment une unité indissoluble. Ainsi, la santé du corps humain est liée à la santé de l’âme. Celle-ci ne sera régénérée, et ne pourra véritablement animer le corps – et à partir de là, le cosmos – que si, à la fine pointe de l’âme, l’esprit de l’homme est régénéré par l’Esprit de Dieu.

Union au Christ

Or, l’Esprit est donné à l’humanité par le Christ, Dieu fait homme pour que l’homme devienne Dieu. La vision holistique d’Hildegarde est donc bel et bien chrétienne. Le salut de l’homme – compris comme santé intégrale de son être – est le fruit de la mort et de la résurrection du Christ, Verbe fait chair pour prendre sur lui la maladie de notre péché. Ainsi, notre harmonie avec nous-même, avec les autres humains et avec le cosmos est rétablie, accomplie par notre union au Christ.

Cette union, qui est amenée à animer toute notre vie, prend son origine dans notre baptême, notre plongée dans la mort du Christ. Le baptême nous régénère, nous donne la "viridité", la vie de Dieu, par le Christ et dans l’Esprit.

En résumé

En résumé, l’on peut dire que la vision théologique Hildegarde, docteur médiévale de l’Eglise, propose une "écologie intégrale" avant la lettre. Dans cette vision, la santé de l’univers entier dépend du salut de l’homme. Salut qui est synonyme d’harmonie, celle-ci étant réalisée dans l’union au Dieu Un et Trine, Energie et Amour personnels.

Christophe HERINCKX

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