Par voix de communiqué, l’Exécutif des Musulmans de Belgique dénonce la reconnaissance « précipitée » par le Ministre de la Justice d’un « Conseil Musulman de Belgique », appelé à devenir le futur (mais provisoire) organe de représentation du culte musulman. Dont fera notamment partie Michaël Privot, islamologue, que nous avons interrogé.

« Aujourd’hui, le ministre [de la Justice, Vincent van Quinkenborn, Open-VLD] poursuit sa « croisade » contre les représentants du culte musulman. En effet, une nouvelle ASBL a été créée précipitamment, à savoir le « Conseil Musulman de Belgique », qui possède les mêmes attributions statutaires que l’EMB ». Ainsi dénonce Mehmet Üstün, Président du Bureau de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, via un communiqué diffusé le 11 juin.
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Une décision précipitée?

« Voilà bientôt trois ans que notre projet est sur les rails », se défend Michaël Privot, islamologue et membre dudit conseil. En fait, depuis février 2020, après la destitution de Salah Echallaouih, président de l’EMB. L’islamologue verviétois précise également que le Bureau de l’EMB n’est plus officiellement reconnu et ne dispose que d’un mandat transitoire pour la gestion des affaires courantes du culte musulman dont le terme est fixé à septembre 2023.
« Depuis trois ans, le Ministre demande une bonne gouvernance, de la transparence et la fin de l’ingérence d’Etats tiers dans la gestion du culte. » Rien n’aurait été fait pour améliorer la situation, déplore Michaël Privot. Qui souligne encore que personne n’a élevé la voix pour défendre l’EMB.
De son côté, l’EMB tient à rappeler que « la commission élargie de l’EMB continue de travailler de manière transparente et indépendante dans le processus de renouvellement de notre institution, dont les élections auront lieu le 16 septembre 2023 ».
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L’EMB s’interroge sur le profil des membres du futur Conseil
Et de jeter le soupçon sur les « 4 personnes auto-désignées, [prétendant] représenter le culte musulman et notre communauté, alors que ni les représentants légitimes du culte (Bureau de l’EMB) ni même les représentants de la communauté musulmane (Unions des mosquées, Fédération des mosquées, mosquées indépendantes) n’ont été consultés. »

Or, comme souligné par Michaël Privot, l’EMB n’a plus la main depuis longtemps. Mehmet Üstün déclare également que « plusieurs médias étrangers affirment même depuis hier que le mouvement intégriste Al Adl Wal Ihsane compte des sympathisants au sein de l’ASBL ! ».
« Nous nous attendions à cette campagne de dénigrement » réagit Michaël Privot. Il comprend aussi que la nomination du conseil dérange certains intérêts. « Mais nous ferons nos preuves sur le terrain » ajoute-t-il confiant. « Nous sommes tous managers d’équipe et de projets dans nos vies professionnelles respectives, nous savons comment faire. »
Qui sont les membres du « Conseil Musulman de Belgique » ?
Outre notre interlocuteur, Belge converti à l’islam, le groupe est composé d’une jeune femme originaire d’Anvers, Esma Uçan, qui s’est notamment investie dans un réseau étudiant inclusif (Mahara). Les deux autres candidats sont membres des Fédérations des Mosquées de Bruxelles et de Flandres, ce dernier est par ailleurs imam et a partagé une photo de lui en compagnie du roi Philippe sur son profil Facebook.
Esma aussi affiche fièrement une photo avec la Reine Mathilde sur son profil personnel. Ceci renforce l’idée défendue par Michaël Privot d’un projet conçu « par, pour et avec les musulmans de Belgique » qui tient donc compte des réalités belges sans pour autant effacer les spécificités culturelles liées aux origines familiales diverses.
Répondre aux besoins des communautés en toute équité
Le nouveau Conseil veut définitivement rompre avec les anciennes pratiques et par là, évacuer un bonne fois pour toute la problématique d’ingérence d’Etats tiers dans la gestion du culte musulman en Belgique. Dont le résultat était le blocage de nombreux dossiers importants comme la formation des imams. Reproche formulé à l’égard de l’EMB qui n’a pas su redresser la barre, d’après Michaël Privot, malgré les nombreuses occasions offertes. « Le Ministre de la Justice a donné de nombreuses « dernières chances » à l’EMB, ils n’en ont saisie aucune ».

« Notre objectif, c’est de la jouer « Team Belgium », avance notre islamologue. De parler à tout le monde sans exclusive, de parvenir à la création d’un organe neutre au service de tout le monde.» Parmi les engagements pris, celui de tendre à la parité homme-femme. Parmi les chantiers prioritaires, la reconnaissance des lieux de culte, des imams et aussi les nominations d’enseignants et d’aumôniers. « Nous voulons nous y atteler au plus vite ».
En d’autres termes, finie la connivence. Il faut répondre aux besoins des communautés sur le terrain en toute équité. « C’est ce que les gens attendent » assure l’islamologue. Les mêmes règles pour tout le monde.
Le nouveau Conseil veut pouvoir rapidement passer la main
Pour l’heure, le « Comité Musulman de Belgique » sera reconnu officiellement par la publication au Moniteur d’un arrêté royal dans les tout prochains jours. « Nous voulons réconcilier les musulmans et les musulmanes avec leur organe représentatif. L’enjeu fondamental, c’est de montrer qu’on peut faire les choses autrement. »
Aussi, dans les prochaines semaines, des invitations seront lancées pour réfléchir à la constitution de l’organe définitif de représentation du culte musulman. « On espère y parvenir en un an, deux maximum » précise Michaël Privot. Les membres actuels du Conseil ont décidé de ne pas se présenter pour prendre les rênes du futur organe. L’asbl sera dissoute dès l’installation de l’organe définitif.
De son côté, l’Exécutif des Musulmans de Belgique estime ne pas avoir d’autre choix que de faire valoir ses droits devant les cours et tribunaux.
Sophie DELHALLE