Trois mots que l’on retrouve tout au long de l’évangile de Matthieu de ce jour et que notre commentateur nous partage…
Ces trois termes apparaissent, l’un après l’autre, dans cette page d’évangile. Ils présentent la même finale vocale, et donnent voix, en même temps, à la finalité profonde de notre existence humaine et chrétienne. Jésus est saisi de compassion… comme nous le sommes, bien souvent, devant le tableau douloureux des efforts et des échecs humains. Jésus voit déjà la moisson à venir, le cœur rempli d’une espérance viscérale en l’homme appelé à porter du fruit. Jésus confie alors une mission à ceux qui acceptent de le suivre, leur montrant un chemin qui ne s’égare pas.
Compassion, moisson et mission riment en ce texte comme dans le cœur du maître et de ses ouvriers, engagés joyeusement dans une œuvre qui les dépasse et les invite à se dépasser.
La compassion – littéralement: les entrailles remuées, déchirées, bouleversées – étreint Jésus au regard des foules qui se sont approchées. Ce ne sont pas d’abord leurs souffrances ou leur extrême pauvreté qui émeuvent le Seigneur jusqu’à l’intime, même s’il invitera les disciples à servir ces foules à sa suite; mais c’est en premier lieu leur état d’abandon, leur abattement: elles sont désemparées, « comme des brebis qui n’ont pas de berger ». La désespérance et la fatigue de vivre de beaucoup de nos contemporains, comme alors, ne viennent-elles pas de leur solitude, de leur manque d’un ami véritable qui soit aussi un guide pour leurs pas fatigués? Et l’on sait, dans les évangiles, combien la relation qui unit le berger à sa brebis est bien plus profonde qu’il y paraît…
Seulement alors, après ce regard empli de miséricorde, vient l’annonce de la moisson. Ou, plus exactement, en même temps que ce regard apparaît, en filigrane, un autre regard. La moisson, c’est ce peuple souffrant, cette humanité épuisée, en quête d’amitié et de sens. « Il dit alors » et non pas « après », donnant sens, par sa parole, à la beauté fragile de cette foule. Elle est grande, abondante, promesse de fruits innombrables, cette quête de sens des foules de tous temps. Quelques lignes plus loin, au chapitre 12 du même évangile, Jésus passera, un jour de sabbat, à travers des champs de blé. Et, comme j’ai vu mon père agriculteur le faire si souvent, j’imagine le Seigneur caresser de ses mains les épis dorés, gonflés de vie, balancés comme des vagues marines au gré du vent, moisson ondoyante à l’infinie richesse. Je le vois les caresser, ces épis en même temps que ces foules, avec tendresse, le cœur rempli de joie pour l’espérance qu’elles portent.
Vient enfin le mot « mission ». On ne peut partir sans savoir où l’on va, sans comprendre ce que l’on est appelé à faire, à vivre. Douze apôtres sont appelés et reçoivent force et autorité: ils iront vers les brebis perdues, non pour asseoir un pouvoir, mais pour guérir, ressusciter, purifier, extirper le mal des recoins obscurs où il règne encore. Grande tâche, dont ils sont incapables s’ils ne comprennent que tout est « don ».
Compassion et moisson forgent mission, pour ce temps ordinaire où nous vivons.
Abbé Joël ROCHETTE