Opinion – Trop c’est trop…


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Opinion – Trop c’est trop…
Par La rédaction
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4 min

Baudouin De Rycke, fidèle lecteur de Dimanche, prend régulièrement la plume pour s'exprimer sur des sujets de société. Aujourd'hui, il s'inquiète d'une banalisation de la violence qui entraîne la peur qui elle-même entraîne la violence. N'y a-t-il plus de place pour l'amour ?

A voir des stades pris d'assaut par des gens qui injurient leurs adversaires, comme s'il s'agissait de détruire le camp adverse, et non d'encourager le sien... © Adobe Stock

A voir une chaîne de télévision présenter une confrérie de jeunes "passionnés" de la guerre (dans le contexte actuel, le terme "passionnés", utilisé trois fois en trois minutes, n’est-il pas dérangeant, même si le but affiché par les intervenants n’est pas seulement de "s’amuser", comme il est dit dans le reportage…?), à entendre des chaînes d’information traiter comme un thriller les épisodes de la guerre en Ukraine, à voir des jeunes se gaver en toute liberté de jeux vidéo cruels et violents, à voir des enfants se faire offrir des armes pour s’amuser à faire semblant de tuer, à voir des stades pris d’assaut par des gens qui injurient leurs adversaires, comme s’il s’agissait de détruire le camp adverse, et non d’encourager le sien, à voir tant de films violents passer sur nos écrans, à voir que la presse n’attire jamais mieux l’attention qu’en faisant le récit de ce qui va mal ou de ce qui fait peur… bref, à considérer ce manque pathétique de finesse, de psychologie et de profondeur dont témoigne si fréquemment notre monde, la tentation est grande d’expliquer la violence et la médiocrité par la nature intrinsèque de l’homme. Est-ce pourtant bien le cas?

Pauvre niveau moral

Une première explication, plausible et souvent avancée par les sociologues, les psychologues ou les philosophes, pourrait bien expliciter notre étonnante complaisance à l’égard de toutes ces dérives: nous serions très nombreux à nous consoler de nos propres misères par le spectacle de ceux qui en connaissent de plus graves et souffrent davantage.

De même, il n’est pas étonnant que les plus jeunes et les moins éduqués, dont le sens critique est insuffisamment développé, calquent leur comportement sur les images d’un très pauvre niveau moral qui défilent en permanence sur nos écrans.

Mais il y a pire: depuis des décennies, la qualité éducative ne cesse de s’appauvrir dans un contexte extraordinairement défavorable aux valeurs humaines: recherche obsessionnelle de rendement et de performance, appels continuels à la consommation, matérialisme, accélération du rythme de vie, individualisme, agitation généralisée… La liste est longue, et forcément désastreuse, puisqu’elle prive logiquement la plupart d’entre nous de ces atouts absolument nécessaires à l’efficacité éducative: le CALME, la PATIENCE, la DISPONIBILITÉ.

En réalité, nous n’avons guère oublié qu’il relève de notre responsabilité de faire entendre à la jeunesse certains principes de base: qu’il s’agit de se battre contre soi-même et non contre les autres; qu’un stade n’est rien d’autre que le lieu où l’on célèbre la valeur du fair-play, du talent, de la volonté et de la générosité dans l’effort (non pas celui où l’on épanche la haine ou la colère accumulées); que la classe est le lieu où l’on éclaire sa nature profonde, son intelligence et ses capacités relationnelles, non pas celui où l’on affirme sa supériorité; que le respect s’impose en tout temps et en tout lieu; qu’il faut sans cesse se réinventer, face à la vie et à ce monde en perpétuelle évolution… Mais… le système de vie que nous subissons paralyse notre action ou nous anesthésie.

La vraie puissance est intérieure

En outre, à force de nous agiter et de nous convaincre de la méchanceté de l’homme, de la dangerosité du monde et de l’impuissance de l’amour, nous projetons inévitablement sur nos enfants notre désenchantement et nos peurs. Beaucoup d’entre eux, déchirés par une atmosphère et des messages régulièrement négatifs et inquiétants, en arrivent à dissimuler leur besoin d’amour et de confiance sous des airs de Rambo…Perpétuellement en représentation, et parfois violents, ils ne pourront faire l’expérience de la force jubilatoire qui émane du plaisir d’être soi…que quand ils auront vu, "dans les dragons qui les entourent, des princesses qui attendent de les voir beaux et courageux"*. La vraie puissance est intérieure, et elle ne se forge que dans l’amour et la confiance. Enfin vivante et intégrée, elle rayonne et confère à son heureux bénéficiaire une étonnante et rare autorité. Qu’on se le dise…

Baudouin DE RYCKE,
enseignant, Montigny-le-Tilleul

* "Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être que des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux." (Rainer Maria Rilke)

Catégorie : En dialogue

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