Nous avons tous le souvenir de Joseph, ce personnage de la Bible jeté dans un puit par ses frères, et ensuite vendu comme esclave… Le Bruxellois d’origine espagnole Ernesto Moreno l’a raconté dans une bande dessinée. Rencontre avec ce travailleur social qui dessine par passion.
Il était une foi - Ernesto Moreno raconte Joseph le Cananéen - Diffusée dimanche 28 mai à 20h sur La Première
Invités: Ernesto Moreno, éducateur spécialisé et auteur de bande dessinée
Présentation: Anne-Françoise de Beaudrap
"Ce projet aurait pu rester dans un tiroir", remarque Ernesto Moreno en regardant fièrement la bande dessinée Joseph le Cananéen qu’il vient d’éditer à compte d’auteur. Si ce ne n’est pas le premier travail dessiné que ce Belgo-Espagnol a entrepris, c’est celui qui, jusqu’à présent, bénéficie d’un début de notoriété.
Il nous a fallu convaincre Ernesto Moreno de raconter son parcours personnel et professionnel. En l’écoutant, nous prenons conscience de toute l’obstination dont il a fait preuve pour que ce qui n’était qu’une idée au départ devienne une réalité imprimée en couleurs vingt ans plus tard. Ernesto, étant élève, a eu la chance d’être encouragé dans son talent du dessin par un professeur. Cet enseignant a rassemblé tous ses collègues et leur a demandé de la compréhension pour cet élève atypique. "A partir de ce moment-là, raconte Ernesto Moreno, je me suis pris au sérieux et j’ai dessiné sans arrêt."
Du dessin comme outil de dialogue
Le jeune homme commence à l’époque des études en arts graphiques. Mais l’école ne lui "avait pas appris l’esprit mercantile, pour savoir se vendre…" A chaque contact avec les maisons d’édition, "ce que je proposais ne correspondait pas à leur ligne éditoriale. Tous mes essais étaient infructueux".
Ernesto Moreno change professionnellement de direction. Il entame alors des études pour devenir éducateur spécialisé. Il travaille aujourd’hui dans le domaine social à Molenbeek, à la fois dans le service de prévention et de sécurité, mais aussi auprès d’une école des devoirs, et des ateliers BD et poésie pour les plus jeunes.
Le travailleur social reconnaît que cela lui a beaucoup apporté. "A commencer par une lecture complète de ce qui se vit dans les quartiers." Même si la question n’est pas systématiquement abordée, l’inspiration religieuse est bien présente au cœur de sa motivation. "Serais-je capable de supporter tant de violence si je n’avais pas ce parcours spirituel en moi?", se demande-t-il aujourd’hui. Signalons d’ailleurs qu’Ernesto Moreno était à bonne école, en ayant fréquenté la JOC, Jeunesse Ouvrière Chrétienne, où il a côtoyé des prêtres qui l’ont beaucoup marqué.
Ce Joseph présent dans les trois religions
Un nom vient rapidement aux lèvres d’Ernesto Moreno, celui du père Jean Radermakers (prêtre jésuite décédé en juin 2021). "Je pense que sans lui, je n’aurais pas eu la force de pouvoir réaliser cette bande dessinée", reconnaît l’auteur de Joseph le Cananéen. L’idée de cette BD est pourtant née quelques années plus tôt. "C’était une suggestion d’un journaliste d’origine musulmane, il y a plus de vingt ans. A l’époque, il était venu vers moi, alors que je travaillais à Saint-Josse et que je donnais des cours d’alphabétisation en français langue étrangère pour une population d’immigrés."
Pourquoi cet intérêt pour Joseph dit le Cananéen? Resituons d’abord l’épisode en question. C’est l’histoire de Joseph, fils de Jacob, que l’on trouve relaté dans la fin du Livre de la Genèse. Le jeune Joseph est vendu par ses frères comme esclave… Quand il les retrouve quelques années plus tard, il fait le choix de leur pardonner et non de se venger. Ce récit, selon Ernesto Moreno, "se retrouve dans les trois religions monothéistes", et créer cette bande dessinée représente "une bonne chose en soulignant une référence commune".
Entretemps, différents attentats ont eu lieu à New York (2001), à Madrid (2004), à Paris (2015) puis à Bruxelles (2016). "Comment tenter d’apporter sa contribution à l’apaisement des tensions [entre les communautés des différentes religions monothéistes]?", demande André Wénin dans la préface de cet album dessiné. Et il répond pour Ernesto Moreno: "Dans ce contexte, la BD est un outil catéchétique auquel il recourt volontiers."
De l’idée à la BD
Certes Ernesto Moreno avait déjà l’inspiration, mais il lui manquait encore l’occasion de s’y consacrer. A ce moment-là est arrivé le Covid, et l’administration communale (où il travaillait pour le service de prévention sociale) lui a donné l’opportunité de consacrer son temps de confinement à son projet personnel. "Je me suis pris au jeu comme si j’étais un professionnel de la bande dessinée et j’ai vraiment dessiné huit heures par jour. Enfin comme un acharné!" D’abord se renseigner sur l’histoire en elle-même, puis travailler un découpage du scénario, et enfin dessiner les personnages et les mouvements…
Dans ce processus de création, Ernesto Moreno a fait appel à deux soutiens importants. Il a d’abord consulté des personnes référentes pour les trois religions monothéistes: le bibliste André Wénin pour l’Eglise catholique, le Rabbin Albert Guigui pour les Juifs et l’imam Mustapha Kastit, pour les musulmans. Il a ensuite fait appel à une jeune étudiante, Serena Ramakers pour mettre l’ensemble de ses dessins en couleurs. Grâce à elles, "la bande dessinée s’apparente beaucoup au cinéma, c’est le même langage séquentiel. Avec de la couleur, on le sent vraiment bien."
Dans sa pratique professionnelle, Ernesto Moreno utilise souvent l’art et la sensibilité de chacun, parents et enfants, pour créer le dialogue. Avec les enfants par exemple, il propose de créer un dessin qu’il fait voir ensuite à leurs parents pour susciter une réaction. De même cet album dessiné autour de Joseph, le Cananéen peut susciter des questions. Dès la couverture, le lecteur se demande: qui est ce personnage qui nous tourne le dos? "En fait, Joseph regarde son père", raconte l’auteur.
Cette bande dessinée existe maintenant en quelques centaines d’exemplaires. C’est ainsi que le CRIABD (Centre Religieux d’Information et d’Analyse de la Bande dessinée) a eu l’occasion de l’examiner dans le cadre du Prix Gabriel 2023. Cet album auto-édité a été primé par le Jury. Ernesto Moreno recevra son prix samedi 20 mai à 11h dans les locaux du CRIABD.
AF de BEAUDRAP
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