Ce jeudi 18 mai, les chrétiens célèbrent la fête de l’Ascension. Comment comprendre la montée du Christ au Ciel? Pour approcher le sens de ce mystère, il faut le mettre en relation avec la résurrection de Jésus, quarante jours plus tôt, et la Pentecôte, dix jours plus tard.

Avant le dimanche de Pentecôte qui clôture le Temps pascal, la fête de l’Ascension marque un moment important : l’élévation du Ressuscité dans la gloire du Père. L’enchaînement des trois fêtes que nous célébrons chaque année – Résurrection, Ascension, Pentecôte – implique une symbolique biblique des nombres qui donne une indication précieuse sur leur signification.
De Chavouot à la Pentecôte
Jésus est ressuscité le premier jour de la semaine, le dimanche qui suit immédiatement la Pâque juive. La résurrection est donc une nouvelle création divine, au sens le plus fort du terme. La fête de Pâques se prolonge 50 jours durant, à la suite de la célébration juive de Chavouot. Celle-ci est fêtée sept semaines entières, soit sept fois sept jours, le nombre sept étant celui de l’achèvement dans la Bible.
Le 50e jour célébre le don de la Torah à Moïse, au Mont Sinaï. Ce 50e jour, « pentecôte » en grec, est à l’origine celui où l’on présente les prémices de la moisson à Dieu. Pour les chrétiens, il correspond au don de l’Esprit Saint, fruit de la résurrection, et principe de la nouvelle loi de Dieu, celle qui est inscrite en nos cœurs.
40 jours pour entrer dans une Nouvelle Alliance
Avant de recevoir la Loi de Dieu, Moïse a prié et jeûné pendant 40 jours. De même, les 40 premiers jours du Temps pascal sont comme une longue retraite des disciples avec le Christ ressuscité, qui les ouvre à l’intelligence des Ecritures et rompt le pain avec eux. Ce temps répond, comme en miroir, à la retraite du carême qui prépare au Triduum pascal, carême qui rappelle à son tour les 40 jours passés par Jésus au désert, comme aussi les 40 années de cheminement du peuple hébreu, entre la libération de l’esclavage en Egypte et l’arrivée en Terre promise.
Pour les disciples également, ces 40 jours sont comme un entre-deux: il s’agit, pour eux, de se préparer à entrer pleinement dans la Nouvelle Alliance scellée dans le sang de l’Agneau. Cette nouvelle relation à Dieu et aux humains se réalisera le jour de la Pentecôte. Mais pour que l’Esprit Saint vienne, il faut d’abord que Jésus retourne vers son Père.
Découvrons les deux sources bibliques de l’Ascension

Nous voici donc arrivés, comme les disciples, au jour de l’Ascension. Comment comprendre cet événement pour le moins mystérieux: Jésus est élevé au Ciel? Pour entrer dans le sens de ce mystère, il existe deux sources, différentes, contenues toutes deux dans le Nouveau Testament.
La première source, ce sont les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), qui ne parlent pas « directement » de l’Ascension ni de la Pentecôte, et le livre des Actes de Apôtres qui, écrit par le même auteur que l’évangile de Luc et prolongeant celui-ci, comprend le récit de l’Ascension et de la Pentecôte. La deuxième source est l’évangile de Jean.
La première source insiste sur la distinction entre les trois réalités – Résurrection, Ascension et Pentecôte – et leur signification respective pour la foi chrétienne. Cette séquence, cette distinction entre les trois mystères se reflète dans les trois fêtes liturgiques distinctes que sont Pâques, l’Ascension et la Pentecôte.
Quelle est la place de l’Ascension au cœur de ce triptyque ? La résurrection, c’est la Pâque, littéralement le passage du Christ de la mort sur la croix à la Vie de Dieu – vie qu’il « retrouve » en tant que Verbe éternel de Dieu, et à laquelle il est introduit en tant qu’homme. En tant qu’humain, Jésus est le premier à entrer pleinement dans cette Vie de communion avec Dieu, ce que traduit l’hymne repris par saint Paul, lorsqu’il dit que le Christ est le « premier-né d’entre les morts » (Col 1,18).
Par son Ascension, Jésus entre dans la gloire de Dieu
Quant à l’Ascension, elle est, pourrait-on dire, un aboutissement de ce passage du Christ dans la vie divine, son entrée dans la plénitude de la gloire de Dieu – c’est-à-dire de l’être même de Dieu qui est Communion d’amour. Cette « entrée dans la gloire », selon la formule utilisée par l’évangile de Luc (cf Lc 24,26), est exprimée par le même auteur, dans les Actes des apôtres, par une élévation de Jésus vers le ciel – montée que signifie le mot « ascension » –, une nuée le soustrayant aux regards des apôtres (cf Ac 1,9-11).
On peut bien sûr s’interroger sur la manière dont cette élévation s’est produite concrètement, mais les termes utilisés en indiquent clairement le sens: Jésus, dans son humanité « intégrale », est assumé dans la sphère, la dimension propre de Dieu, qui excède les limites de l’espace et du temps. Cette dimension divine est exprimée par la nuée et le ciel, celui-ci, compris dans ce sens, n’était pas un lieu « physique ». En ce sens, Jésus est vraiment monté au Ciel.
Jésus, dans son humanité intégrale, est assumé dans la dimension propre de Dieu, qui excède les limites de l’espace et du temps.
Quant à la Pentecôte, elle suit la résurrection et l’Ascension comme leur aboutissement: en recevant l’Esprit Saint, Marie et les apôtres, puis toutes celles et ceux qui adhéreront au Christ par la foi et le baptême, recueillent les fruits du Mystère pascal: Ils participent désormais à la mort et à la résurrection du Christ, deviennent enfants du Père par lui et en Lui, et sont envoyés proclamer l’Evangile à sa suite.
Pour Jean, tout se joue à la Résurrection
Arrêtons-nous un moment sur la notion de retour de Jésus au Père, en nous appuyant cette fois sur La deuxième source biblique qui nous permet d’entrer dans le mystère de l’Ascension est l’évangile de Jean. Celui-ci ne raconte pas l’Ascension en tant que telle, mais Jésus ressuscité y fait allusion lorsque, le matin de Pâques, il dit à Marie de Magdala: « Ne me retiens pas! car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Pour toi, va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu. » (Jn 20,17)
Par contre, Jean relate la Pentecôte, qu’il situe le soir même de la résurrection: « Ayant ainsi parlé, il (Jésus) souffla sur eux et leur dit: ‘Recevez l’Esprit saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus’. » (Jn 20, 22-23). Bref, dans le quatrième évangile, tout semble se dérouler le jour de la résurrection.
Tout ceci relève d’un seul Mystère
Pourquoi cette différence de traitement, entre les synoptiques et les Actes des Apôtres d’une part, et le quatrième évangile, d’autre part? Dans l’évangile de Jean, l’auteur insiste sur le lien intime qui existe entre passion, résurrection, et don de l’Esprit saint. Quant à l’Ascension, elle est déjà « contenue », pour ainsi dire, dans la résurrection, mais également, déjà, dans la passion de Jésus.
Car au fond, il s’agit d’un seul processus, d’un seul mouvement, d’un seul mystère. Ce que Jean résume par ces termes, à plusieurs reprises et sous différentes formes: Jésus doit être élevé, ou: il doit être glorifié. Ou encore: Jésus va vers son Père.
L’Ascension est déjà contenue dans la résurrection, mais aussi la passion de Jésus.
Citons en particulier ce beau passage de l’évangile, où l’on voit Jésus annoncer: « ’Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes’ – Par ces paroles, il indiquait de quelle mort il allait mourir » (Jn 12, 32-33). Si le deuxième verset suggère que l’élévation de terre est la mort sur la croix, l’allusion à la glorification et à la montée vers le Père est également frappante.
D’après d’autres textes johanniques, la glorification du Père par le Fils, et du Fils par le Père, se réalise déjà lors de la passion, en manifestant la profondeur infinie de l’amour de Dieu pour chaque être humain. Cette glorification débouche sur la résurrection qui est, déjà et pleinement, retour vers le Père.
Chez Jean aussi, le don de l’Esprit aux apôtres est intimement lié au retour du Christ vers le Père, retour qui inaugure une autre présence de Jésus parmi ses disciples. L’évangéliste insiste: c’est parce que Jésus est glorifié par la croix et la résurrection qu’il peut envoyer l’Esprit « d’auprès du Père » (Jn 15, 26). « C’est votre avantage que je m‘en aille« , dit Jésus aux apôtres avant sa passion. « En effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16,7).
Dans l’Esprit, le Ciel est désormais au milieu de nous
Si Jésus retourne vers son Père, c’est parce que, « au commencement », il est « sorti de Dieu », il a été envoyé par le Père. Mais il n’y retourne pas de la même manière qu’il est « descendu du Ciel ». En venant dans la chair du monde, le Fils éternel de Dieu, deuxième Personne de la Trinité, assume pleinement notre humanité. Et lorsque, ressuscité, il retourne vers le Père, il emmène avec lui, pour ainsi dire, tout ce qui fait son humanité, bref: notre chair. Il ouvre ainsi une voie nouvelle, sur laquelle chacun d’entre nous peut le suivre, pour entrer dans le Temple du Ciel à la suite de l’unique Grand Prêtre.
Pour vivre en Dieu, point n’est besoin de nous évader de la vie terrestre.
En attendant cet accomplissement qui doit venir, Dieu nous a donné l’Esprit, à la Pentecôte. L’Esprit Saint est le fleuve de vie éternelle jaillissant du nouveau temple qu’est le Christ. Ce don de l’Esprit est, après la résurrection et l’Ascension, le dernier volet du triptyque, son achèvement. L’Esprit accueilli fait de nous des ressuscités, avec Jésus, et fait pour ainsi dire vivre déjà au Ciel, c’est-à-dire en Dieu.
Mais que l’on ne s’y trompe pas. Pour vivre en Dieu, point n’est besoin de nous évader de la vie terrestre. Car dans l’Esprit, le Ciel est désormais au milieu de nous, en nous, et nous pouvons « adorer Dieu en esprit et en vérité » dans la chair de nos existences. Nous vivons déjà en Dieu, et la vie éternelle est déjà commencée.
Christophe HERINCKX
🎧 A réécouter: RADIO – Il était une foi… l’Ascension