Connaissez-vous le scaphoïde? Moi non plus, avant le 8 avril 2020, je ne le connaissais pas. Ce jour-là, c’est une (très bête) chute à vélo qui me permit de faire sa connaissance. Le diagnostic était clair: fracture du scaphoïde. Je ne découvris pas alors seulement son existence. Ce jour-là, avec douleur, mais non sans intérêt, je pris aussi conscience de toute son utilité. En effet, aux côtés des sept autres os carpiens, le scaphoïde offre à la main une extraordinaire capacité de mouvement. Et une fois l’os brisé, le plus banal mouvement de la main devient un supplice.
Connaissez-vous la démocratie? Sans doute seriez-vous tentés de répondre par l’affirmative. Oui, nous savons tous ce qu’est la démocratie. Mieux: de tous les systèmes politiques, sans doute est-ce celui que nous connaissons le mieux. Car c’est, pour la plupart d’entre nous, le seul que nous ayons jamais expérimenté.
Mais peut-être est-ce précisément parce que nous n’en avons jamais connu d’autre que nous le connaissons, en fait, fort mal. Pour le dire autrement, peut-être est-ce parce que nous n’avons jamais vécu sous une dictature que nous ne parvenons à apprécier la richesse d’un système où chacun peut s’exprimer librement. Peut-être est-ce parce nous n’avons jamais vécu dans un Etat totalitaire que nous ne parvenons à percevoir l’importance de la séparation des pouvoirs. Peut-être est-ce parce que nous n’avons jamais connu autre chose que la démocratie que nous pourrions… la perdre!
Aujourd’hui, tous les signaux sont au rouge. La confiance dans nos politiques est en berne. La montée de l’extrême-droite se généralise. Le succès des populismes est criant. Les défis de notre société sont énormes! Et pendant ce temps, sans doute un peu naïvement, nous oublions que la démocratie est une exception à l’échelle du temps. Qu’elle n’est pas un acquis. Qu’elle pourrait disparaître.
En réalité, le problème de la démocratie, c’est celui du scaphoïde. Quand elle fonctionne bien, elle ne fait guère de bruit – si peu qu’on en viendrait à oublier ses extraordinaires vertus.
N’attendons pas qu’elle vienne à disparaître pour apprendre à la connaître et à l’apprécier. C’est aujourd’hui que nous devons en prendre soin. Et cela relève de la responsabilité de chacun.
Vincent DELCORPS
