En tant que plus grands consommateurs de chocolat au monde, les Européens contribuent involontairement à la déforestation en Afrique de l’Ouest. A cela s’ajoute le problème de la traçabilité. Des chercheurs de l’UCLouvain appellent à améliorer la transparence et la traçabilité de la filière et soulignent la nécessité d’agir à l’échelle des territoires pour stopper la déforestation.

« À l’approche de Pâques, l’Union européenne voit arriver le pic de sa saison chocolatière. C’est l’une des périodes les plus actives de l’année pour l’industrie du chocolat, qui vend de plus en plus ses produits aux consommateurs comme étant « éthiques » ou « durables ». Mais, compte tenu de la traçabilité extrêmement limitée dans l’industrie, les consommateurs ne sont pas informés de l’origine de leur chocolat et des importants enjeux de durabilité qui y sont liés », souligne Cécile Renier, bio ingénieure et coordinatrice d’une étude du Earth & Life Institute (ELI). Cette recherche a tenté de tracer les chaînes d’approvisionnement de cacao en Côte d’Ivoire.
La culture du cacao est responsable de 45% de la déforestation
L’Afrique de l’Ouest, en particulier en Côte d’Ivoire et au Ghana, est la zone où l’on produit 60% du cacao mondial. La Côte d’Ivoire retire un tiers de ses revenus à l’exportation de cette activité. Mais, plus de 55% des exportations sont intraçables, pointent les chercheurs du ELI. Leur étude porte sur l’association de deux cartes satellitaires : l’une montrant la déforestation et l’autre l’extension de la production de cacao en Côte d’Ivoire : « On a superposé les deux cartes et on voit qu’il y a clairement un lien. Le cacao prend tellement de place dans l’usage des sols dans ce pays que c’est clairement le premier responsable de la déforestation. »
Selon cette étude, pas moins de 2,4 millions d’hectares de forêt ivoirienne ont été remplacés en vingt ans par des plantations de cacao. En 2019, 25 % des cacaoyères ont remplacé des forêts classées et aires protégées, ce qui reflète la faible application des lois de protection de ces terres.
Tout est lié
Cette déforestation entraîne des conséquences en chaîne. « C’est évident qu’il y a des impacts gigantesques sur la perte de la biodiversité », relève Cécile Renier. « Notre vision très climato-centrée nous fait facilement voir le lien avec la perte des stocks de carbone (NDLR : les forêts, tant que les arbres ne sont pas abattus, sont des puits de carbone ; d’où leur nom de ‘poumons verts’) mais, en 60 ans, la Côte d’Ivoire a perdu plus de 80% de ses forêts… »
L’étude montre que l’exploitation incontrôlée de cacao menace désormais les forêts frontalières du Liberia : dans les régions de Côte d’Ivoire situées le long de la frontière, 80 à 100 % du cacao exporté n’est pas traçable jusqu’à son premier acheteur, et encore moins jusqu’à son exploitation d’origine.
Par ailleurs, la chercheuse relève aussi des impacts en termes socio-économiques : « Beaucoup de recherches montrent que les revenus gagnés par les exploitants de cacao sont insuffisants et ne leur permettent pas de vivre décemment. La déforestation est un mécanisme complexe. Une certaine pauvreté est maintenue par un système d’exploitation qui sous-paye les producteurs. Cela les pousse à déforester pour augmenter leurs revenus.»
Ainsi donc, les questions éthiques sont étroitement liées aux questions écologiques. C’est d’ailleurs ce que rappelle régulièrement le pape François : justice sociale et environnementale sont indissociables
Traçabilité
Cécile Renier relève que, face aux consommateurs, les transformateurs de cacao en bout de chaîne mettent la pression sur les grands négociants pour tracer le cacao. Si de grands fabricants de chocolat se sont engagés dans des politiques de zéro déforestation, tous sont exposés au risque d’importer du cacao issu de la déforestation, montre l’étude. En effet, la plupart des engagements visant à atteindre une traçabilité à 100% ne concernent que les approvisionnements directs. « Ces approvisionnements achetés directement à la coopérative ne représentent qu’une fraction des importations, explique la chercheuse UCLouvain et coordinatrice de l’étude. Les négociants achètent des volumes importants – parfois la majeure partie de leur cacao – auprès d’intermédiaires locaux, sans savoir auprès de qui ces intermédiaires s’approvisionnent. »
Aussi la chercheuse met en garde : « Les labels – comme par exemple celui de Rain Forest alliance – ou une certification ne vont jamais garantir la traçabilité. » La chercheuse pointe donc un risque important de greenwashing.
Avec la nouvelle réglementation européenne « zéro déforestation », les entreprises devront prouver que leur cacao n’a pas contribué à la déforestation si elles veulent les vendre dans l’UE. Cependant, selon l’étude, les négociants doivent aller au-delà de la traçabilité de leurs propres chaînes d’approvisionnement pour sauver les dernières forêts d’Afrique de l’Ouest. « Améliorer la transparence et la traçabilité de la filière est nécessaire, mais cela ne suffira pas à stopper la déforestation. Le secteur doit investir dans des initiatives à l’échelle des territoires, en soutenant les producteurs tout en assurant une protection efficace et effective des forêts » , suggère Cécile Renier. Elle insiste sur le fait que mieux payer les producteurs fait aussi partie de l’équation.
Bien choisir sa marque et … déguster chaque morceau
« Le secteur du cacao à une responsabilité massive mais nous aussi, au bout de la chaîne, en tant que consommateurs », reconnaît la coordinatrice de l’étude. En attendant une meilleure traçabilité, quels conseils donner aux consommateurs ? « Il faut se poser la question : quel chocolat peut-on consommer si tant est qu’il faut encore en consommer. Personnellement, j’essaie de limiter ma consommation car j’aime beaucoup le chocolat. Quand j’en mange, j’ai conscience et que c’est un produit de luxe. » Pour aider à mieux choisir, Cécile Renier recommande le site Chocolate scorecard (*) qui permet aux consommateurs de mieux sélectionner les marques et choisir celles qui ont moins d’impact. Cet organisme évalue l’ensemble des différentes marques notamment sur la traçabilité. Si les entreprises ne répondent pas à leurs nombreuses questions cela est considéré comme un manque de transparence. A noter que, même si certaines couleurs mises en avant par le site font penser à une marque de chocolats bien connue, Cécile Renier nous assure que l’organisation est tout à fait indépendante.
La responsabilité quant à la déforestation en Afrique de l’Ouest est donc mondiale. Selon les calculs des scientifiques, en 2019, les importations de l’Union européenne et du Royaume-Uni étaient associées à 838 000 ha de déforestation entre 2000 et 2015. Ceci risque de donner un goût amer à certains œufs de Pâques mais Cécile Renier propose de savourer chaque morceau tout en réfléchissant à consommer moins de chocolat… et mieux.
Nancy Goethals
🔎 Pour en savoir plus : Partant du constat que depuis des années, l’industrie du chocolat tire une grande partie de son cacao de la destruction des parcs nationaux et des zones protégées, l’organisation Mighty Earth s’efforce de transformer cette industrie et de fournir un habitat à des espèces menacées telles que les éléphants de forêt et les chimpanzés. Au cœur de l’Afrique de l’Ouest, où se trouve le cacao, elle travaille à la conservation et à la restauration des forêts. À l’échelle mondiale, elle veille à ce que toute expansion future soit faite de manière responsable, afin que les gens puissent enfin savourer le chocolat sans se soucier de ses conséquences écologiques.
(*) Le site Chocolate scorecard est en anglais mais propose des traductions en français sous forme de documents téléchargeables en pdf.