La migration est au cœur de notre actualité. Et force est de constater qu’elle est, de plus en plus, associée à des mots comme problème, danger, voire menace. Or, rien n’est plus naturel que de migrer. Il s’agit même d’un droit humain rappelle Renato Pinto, coordinateur d’Action Vivre Ensemble pour le Hainaut.

Connaissez-vous la saxifrage? Cette plante herbacée pousse dans les fissures des murs et des rochers, ce qui lui vaut le surnom de « casse-pierre ». Or, des parois, des murs, on en dénombre de plus en plus le long des frontières du Vieux Continent; les dirigeants européens se sont d’ailleurs accordés récemment (février 2023) pour augmenter les moyens dédiés au contrôle de ces frontières.
Ces dispositifs défensifs rassurent peut-être une partie de l’opinion publique, mais ils renforcent surtout les clivages et la méfiance, avec pour conséquence de rendre plus risqué le parcours des personnes déplacées. Comme l’explique l’anthropologue Michel Agier, « le mur n’empêche pas de passer, mais rend simplement le passage plus dangereux, et place les migrants à la merci des profiteurs. »
Un tourbillon de violence
Migrer, c’est se déplacer. Quoi de plus naturel? Des millions de gens le font, chaque année, de par le monde. Migrer fait partie de l’histoire humaine. « Nous sommes des sociétés faites à la fois d’immigration et d’émigration. Une chose est certaine: on l’était hier, on l’est aujourd’hui et on le sera demain!« , indique le sociologue Marco Martiniello. Et pourtant, « on ne réussit pas encore à incorporer ces dimensions-là dans nos histoires. Les migrations sont perçues comme une maladie, un défaut, un problème. »
S’intéresser aujourd’hui aux migrations, c’est souvent s’immerger dans un tourbillon de violence. C’est percevoir la précarité sous l’une de ses formes les plus cyniques, car causée par la négation de l’humanité d’individus qui n’entrent pas dans les bonnes cases. C’est aussi, hélas, entrevoir la souffrance et le trépas de celles et ceux qui doivent endurer privations, trafics et persécutions. Car le contexte actuel n’est pas tendre avec ces gens – hommes, femmes, enfants – qui franchissent des frontières dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie.
Ce qui se passe aujourd’hui le long des parcours migratoires, ce qui se vit dans les campements et derrière les grillages des centres fermés, ne doit pas être tu. Des noms, symboliques, viennent à l’esprit: le parc Maximilien à Bruxelles, la jungle de Calais, le camp de Moria, l’île de Lampedusa… Ces lieux, sur la carte de l’Europe, apparaîtront-ils un jour dans des livres d’histoire? Ira-t-on s’y recueillir, au souvenir des personnes qui y ont souffert? Se souviendra-t-on de celles et ceux qui sont passés par là? Evoquera-t-on les poings fermés pour les rejeter… comme les mains tendues pour les accueillir?
De l’accueil à la militance
A l’ombre des murs que nous avons évoqués, l’on distingue de petites fleurs, des saxifrages: en réalité, des femmes et des hommes qui préfèrent la main tendue au poing fermé. Qu’ils soient simples citoyens ou militants de longue date, ces gens sont réunis par le souhait de rendre effectifs les droits humains.
Cependant, ces initiatives ont besoin d’être accompagnées d’évolutions politiques. Ce sont les lois, les structures et, en fin de compte, nos cadres de pensée qui devraient évoluer, afin de cultiver les différences comme des potentialités, pour un enrichissement mutuel. Raison pour laquelle, à côté de l’accueil (qui a le mérite de rendre l’action concrète, directe, efficace), à côté des initiatives favorisant l’entraide, la rencontre et la reconnaissance, la société civile et les citoyens et citoyennes qui le souhaitent doivent continuer de faire circuler des pétitions, de se faire entendre et de stimuler la réflexion sur ces sujets compliqués.
Vision imaginaire?
Ce respect par-delà les frontières des Etats-nations, ce vivre ensemble que beaucoup appellent de leurs vœux n’est pas une vision imaginaire. C’est déjà une réalité, en bien des endroits: dans ces maisons où des gens d’origines différentes cohabitent; dans ces groupes musicaux où des artistes venus de tous horizons font vibrer des mélodies harmonieuses; dans ces mobilisations citoyennes qui, en dépit de l’hostilité ambiante, clament haut et fort que le lieu de naissance ne devrait pas conditionner l’égale dignité de tous les êtres humains. Autant d’endroits où fleurissent les saxifrages.
Pour aller plus loin, voir l’étude Migration et accueil: enjeux de justice sociale. Là où poussent les saxifrages.

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