La C.C.B.F (Conférence Catholique des Baptisé-e-s Francophones) a souhaité lancer une grande enquête sur ceux qu’elle a nommés dans un premier temps « les éloignés découragés ». Elle a rendu publiques ses conclusions samedi 11 mars.

Ce sont des chiffres « alarmants » qui ont décidé la CCBF a enquêté sur les raisons de l’éloignement de nombreux catholiques français vis-à-vis de l’institution ecclésiale.
Un sentiment d’appartenance en chute libre
Selon les dernières enquêtes sociologiques, seuls 39 % des français considèrent encore qu’ils appartiennent à la religion catholique. 75 % déclarent que leurs parents étaient de religion catholique quand eux-mêmes étaient enfants. La transmission entre générations semble donc bien rompue, relève le rapport du CCBF.
Si l’on ajoute encore à cela, le fait que seuls 8 % des français affirment être pratiquants au moins une fois par mois. Le constat est impitoyable. En moins de cinquante ans, le sentiment d’appartenance a chuté de 89 à 13%. Pourquoi?
Eloignés ou loin ?
Le rapport établit tout d’abord un distinguo entre les « éloignés » (ce qui implique un mouvement, une prise de distance volontaire) et ceux qui sont loin (état de fait). Pour ces derniers (encore souvent baptisés), l’Eglise n’est plus leur univers de référence, elle ne leur inspire que de l’indifférence. Pour les premiers, les raisons sont généralement précises et récentes. Et c’est vers ce public, celui des éloignés encore impliqués ou du moins concernés – qui ne représente en aucun cas un échantillon représentatif, notons-le bien -, que s’est orienté l’enquête du CCBF.
✍️ Lire aussi : Le nombre de catholiques dans le monde croît à 1,378 milliard en 2021
Une Eglise à contre-temps?
Le rapport explique notamment cette désaffection française par des causes internes à l’Église elle-même mais aussi par des causes sociologiques globales. Comme le fait que les nouvelles générations (jeunes comme adultes) valorisent une conception beaucoup plus horizontale que verticale des relations entre les personnes. Cela affaiblit voire discrédite ce qui relève d’un ordre hiérarchique, dans l’Eglise mais aussi l’entreprise et la politique.
La société actuelle nous pousse à rechercher l’épanouissement personnel mais valorise aussi énormément le corps. Deux tendances que l’on retrouve peu dans le discours de l’Eglise, estiment les rédacteurs du rapport de la CCBF. Qui affirment toutefois que la prise de conscience de cet écart quasiment ontologique, et en tout cas sociologique, entre la culture contemporaine et l’esprit du christianisme, ne doit pas entraîner une démission de l’espérance.
Aussi, l’Église n’a pas à calquer son discours ou son mode de fonctionnement sur l’air du temps, au risque de perdre toute spécificité mais doit pouvoir faire un pas de côté pour répondre aux aspirations fondamentales de notre temps, suggèrent-ils.
Les limites de l’enquête n’en diminuent pas moins l’intérêt
Le questionnaire élaboré par la C.C.B.F porte essentiellement sur le rapport à l’Église, son évolution, les propositions de transformation ou le vécu des fidèles.
Sur les 2431 questionnaires reçus, 1565 personnes ont déclaré explicitement être « très » ou « assez » éloignées de l’Église, à souligner qu’un tiers des répondants ne connaissaient pas la CCBF.
On compte 2/3 de femmes pour 1/3 d’hommes, âgés majoritairement entre 50 et 80 ans ; ainsi, la moitié des personnes qui se sont éloignées de l’Église appartiennent aux générations post-concile et post-Mai 68. 90 % des répondants ont fait des études supérieures, plutôt de type long, et vivent en milieu urbain. Enfin, une grand majorité sont engagés dans la société, auprès de divers organismes.
Les limites, clairement apparentes de cet échantillon, ne doivent pas nous faire négliger les résultats obtenus.

Lente érosion qui s’est accentuée ces dernières années
De l’enquête, il ressort que les premiers lieux d’éveil restent le catéchisme et famille, avant les mouvements de jeunesse et l’aumônerie (très développée chez nos voisins français, notamment dans les lycées, collèges et universités). Certains répondants ont par ailleurs estimé que c’est l’Eglise qui s’est éloignée d’eux et non l’inverse.
Pour 12 % des personnes interrogées, l’éloignement remonte à l’enfance, et pour 30 % à l’âge adulte. Mais l’information la plus importante de l’enquête est que pour la grande majorité (58%), il s’agit d’une évolution récente, datant de ces dernières années.
Pour expliquer cette prise de distance, les répondants invoquent un évènement particulier qu’il soit d’ordre personnel (abus, divorce, découverte de son homosexualité, …) ou ecclésial (rapport de la Ciase, fermeture de communautés, lecture, nomination d’un prêtre plus traditionnaliste, …). A partir de ce basculement, l’éloignement ne fait que s’amplifier, ouvrant rarement la perspective d’un retour.
✍️ Lire aussi : La Conférence Catholique des Baptisé(e)s Francophones réagit à la sortie du rapport du CIASE
Et la foi dans tout ça?
Entre les incroyants, les sceptiques et les croyants par tradition, plus de la moitié (53 %) des
personnes interrogées disent se sentir chrétiens plus que catholiques. Leur éloignement de l’Église n’est donc pas un éloignement du christianisme.
La majorité (52 %) considère que l’indifférence massive de leurs enfants envers l’Eglise et la foi est un souci majeur, voire source de souffrance. Une attitude qui leur pose question et finit par semer le
doute. Beaucoup de parents se culpabilisent de « ne pas avoir su transmettre », même s’ils admettent que leur progéniture conserve un intérêt pour le spirituel sans affirmer une quelconque foi.
Dans la population des éloignés, la messe a clairement cessé d’être centrale. L’assistance hebdomadaire est devenue minoritaire (5 %). Si on y adjoint l’assistance une ou plusieurs fois par mois, qui s’est affranchie de la régularité tout en continuant à manifester le besoin d’une cérémonie et d’un partage, on arrive à un total de 23 % de « pratiquants », soit une personne sur quatre seulement, analyse le rapport. Sont mis en cause, les sermons creux, la tristesse des célébrations, l’absence de femme à l’autel, ennui…
Ce qui fait fuir certains catholiques français
Malgré l’éloignement, les attentes à l’égard de l’Eglise restent très fortes. Sa mission est associée aux termes transmission, salut, espérance, paix, charité, justice.
Alors pourquoi tant de catholiques ont-ils pris la fuite? oserait-on dire. Sont invoqués par les répondants :
- le cléricalisme
- la place secondaire des femmes
- la déconnexion de la vie des gens
- une théologie figée
- une église du passé
Et de définir, selon eux, les priorités dont l’Eglise doit se saisir sans plus attendre. Les trois plus importantes étant l’égalité homme-femme, le partage des responsabilités entre clercs et laïcs (pour en finir avec le pouvoir clérical) et la fin du célibat obligatoire des prêtres.

Qui réformera l’Eglise?
Reste maintenant à savoir à qui revient la tâche de contribuer à ces transformation souhaitées. L’institution a-t-elle la capacité et l’envie de se régénérer de l’intérieur? Beaucoup l’espèrent mais n’y croient plus vraiment, lit-on dans le rapport.
Ou est-ce à la communauté des chrétiens de faire pression pour faire évoluer l’institution? Les répondants seraient-ils prêts à aider l’Eglise à faire sa mue? La population interrogée s’exprime de manière divisée. Les plus radicaux pensent que l’Église est irréformable par nature, certains disent avoir essayé sans succès, les autres sont passé à tout autre chose. Toutefois, plus de la moitié des personnes interrogées (55 %) déclarent qu’elles aimeraient avoir un rôle actif dans l’évolution interne de L’Église.
Sophie DELHALLE
📌 Lire « Les baptisés éloignés de l’Eglise. Enquête sociologique » de la CCBF (pdf)