Les premières lueurs de Pâques pointent à l’horizon et, en ce 5e dimanche de Carême, l’évangile nous parle de maladie, de mort et le carême accueille la tristesse et le deuil…
C’est le verset le plus court de toute la Bible. Simplement trois mots grecs: edakrusen ho Ièsous. « Et Jésus pleura » (v.35). Lorsque les imprimeurs de la Bible, au XVIe siècle, durent découper la Bible, non seulement en chapitres, mais encore en versets, ils prirent la décision, étonnante et bouleversante, de faire de ces trois seuls petits mots un unique verset. De n’y joindre rien d’autre, pour les laisser résonner, vibrer, toucher les cœurs.
Le temps du carême est puissant et doux à la fois. Il invite à la joie, au jour de Laetare (dimanche dernier): il faut se réjouir avec le prophète Isaïe, car, déjà, pointent les premières lumières de Pâques. Et le carême accueille la tristesse et le deuil, en ce dimanche des larmes de Jésus: il faut partager la peine de ceux qui affrontent la mort.
Jésus est impliqué dans ce deuil. Combien de soldats et de civils meurent aujourd’hui en Ukraine et ailleurs? Combien de malades luttent, agonisent, acceptent ou non de livrer leur dernier souffle? Jésus est impliqué dans ces deuils, et nous aussi: avec plus ou moins de distance, avec plus ou moins de retard. Si Marthe est venue au-devant de Jésus, Marie, elle, est restée assise à la maison. Les premiers mots de Jésus peuvent paraître convenues: apporter une espérance, inviter à la foi, encourager. Et voici que Marie, enfin arrivée, répète les mêmes mots que sa sœur… Que dire d’autre à Jésus, en effet: « Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort »? Mais elle s’arrête, incapable d’exprimer une espérance… Comment aller plus loin dans la confiance?
Dans les gestes et les paroles de Jésus, de Marthe et de Marie, nous découvrons autant d’attitudes devant la mort, toutes respectables. Ce sont les nôtres aussi. Jésus a hésité ou a tardé; il a consolé Marthe et n’a rien dit devant la douleur déchirante de Marie; l’une a parlé davantage que l’autre; les mots se cherchent, murmurés ou étouffés dans des sanglots.
Et la compassion grandit, pas à pas, comme par étapes: la compassion est une histoire, une relation. Jésus « frémit intérieurement » (littéralement: en son esprit) quand il les voit tous accablés de tristesse et en pleurs; puis il est « troublé », de ce même trouble qui l’étreindra bientôt quand il dira, d’une voix étranglée, la trahison de l’un des siens (cf. 13,21). « Et Jésus pleura » alors, profondément uni à la souffrance de ceux qu’il aimait (cf. v.5: « Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare »). Et il est repris, encore, par l’émotion.
Le signe vient seulement. Aurait-il été possible sans ce chemin de compassion? Probablement pas, car tout signe, dans l’évangile de Jean, est lié à la foi: on « vient » à la foi, pas à pas, en rencontrant celui qui est « chemin, vérité et vie » (14,6). Jésus invite Marthe à un sursaut de foi, puis, dans sa prière, crie vers Lazare pour le faire sortir. Il faut le délier et le laisser aller.
Dans nos deuils, les mots justes nous manquent et nos hésitations nous retardent. Mais notre compassion peut grandir encore, en ce chemin vers les lueurs de Pâques.
Abbé Joël ROCHETTE