Quelles sont les bonnes pratiques déjà existantes qui permettent à chaque catholique - laïc ou clerc – de participer à la vitalité de l'Eglise ? Lors d'une rencontre européenne à Luxembourg en prélude à la phase continentale du processus de synodalité, une cinquantaine d’experts a émis des recommandations. Celles-ci sont portées actuellement à l'Assemblée ecclésiale européenne qui se tient à Prague. En voici le texte intégral.
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"Learning by doing"
"Apprendre en faisant", cette expression chère au pape François est reprise par Arnaud Join-Lambert pour présenter la méthode de travail appliquée lors du séminaire international qui s'est déroulé à la Luxembourg School of Religion & Society, du 15 au 17 janvier. ll a participé en tant que rédacteur à cette rencontre intitulée « Synodalité diocésaine en Europe: et après ? ». Le texte final ci-dessous reprend les constats et recommandations émargeant d’expériences vécues de synodalité. Il est actuellement dans les mains de nombreux participants à l’Assemblée ecclésiale européenne et - qui sait ? - inspirera les évêques. Pour les lecteurs de Cathobel, nous avons mis en évidence les éléments majeurs.
NG
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Élargir la tente : Une contribution européenne
Rapport de la Rencontre internationale sur la synodalité diocésaine en Europe qui s’est tenue à la Luxembourg School of Religion and Society, les 15-17 janvier 2023.
Introduction
Notre rencontre d’expert(e)s et de praticien(ne)s européen(ne)s de la synodalité s’est tenue entre la session de rédaction du Document pour l’étape continentale [DEC] (Élargis l’espace de ta tente [Is 54,2]) à Frascati (Rome) en octobre 2022 et l’Assemblée ecclésiale européenne à Prague en février 2023. Son objectif était de réfléchir sur l’apport du DEC comme de la prochaine Assemblée à Prague, elle a recueilli la sagesse glanée dans plus de 50 processus synodaux dans les diocèses de l’Église catholique romaine en Europe au cours des dix dernières années.
Nous avons voulu apprendre ce que l’Esprit avait été amené à faire dans les processus synodaux dans notre continent, ainsi qu’examiner ce qui avait à la fois permis et empêché les transformations que ces processus avaient produites, afin de mettre en évidence certains moyens de promouvoir la conversion synodale au sein de l’Église catholique romaine. Nous avons œuvré dans un esprit d’humilité, conscients qu’une réunion de deux jours ne pouvait pas offrir un traitement exhaustif du sujet, mais nous avons néanmoins travaillé avec la confiance que ces idées pouvaient être utiles aux Églises locales qui cherchent à avancer sur cette voie de la synodalité.
Bien qu’il ne s’agissait pas d’entamer un examen spécifique des signes des temps, deux facteurs majeurs marquent le contexte du synode sur la synodalité. Le premier est la conscience que, comme si souvent dans l’histoire de l’Église, les changements sociaux et culturels rapides exigent que le vin éternellement nouveau de Jésus-Christ nécessite des outres neuves si l’on veut que l’Évangile soit proclamé de nos jours là où nous vivons. Les disciples du Christ sont appelés à décrypter la présence et l’action de Dieu dans le monde avec un regard de foi, d’espérance et d’amour. La mission de l’Église est dès lors d’aider nos contemporains à faire de même. Assumée avec foi et patience, la [pratique de la] synodalité nous permet de découvrir comment l’Esprit Saint éclaire le peuple de Dieu quant aux nouvelles structures et mentalités que cette mission de décryptage exige. Le second facteur est la prise de conscience du dysfonctionnement et de l’échec institutionnels dans de nombreux domaines. Ce facteur en appelle à une humble disponibilité, à la conversion et au changement.
Les participants venus de toute l’Europe se sont réunis dans une atmosphère de prière et de fraternité, sur un pied d’égalité et avec une ouverture à l’expérience et à la réflexion de chacun. Nous avons utilisé la méthode synodale de la conversation spirituelle ; les langues de travail ont été l’anglais et le français.
Ce qui suit est un bref résumé de quelques fruits et perspectives de notre rencontre.
#1 Des transformations positives
Le point de départ de cette réunion résidait dans des expériences, et non dans des théories de la synodalité. Il nous revenait de mettre en commun de nombreuses transformations qui, la plupart du temps de manière intérieure ou discrète, nous inspiraient de l’espoir et des attentes pour l’avenir. Parmi celles-ci, le sentiment de reconnaissance des personnes du fait qu’elles ont été écoutées. Il s’en est suivi la conscience d’être des sujets actifs et des protagonistes dans l’Église, coresponsables de sa mission. Les expériences synodales ont permis à de nombreuses personnes de faire directement l’expérience d’une Église plus fraternelle, plus diversifiée et plus collaborative, plus missionnaire et plus engagée dans les besoins et les rêves de notre époque.
Nous avons également eu écho de la joie et de la consolation d’être passé de la discussion et du débat au discernement spirituel. Cela nous a fait pressentir que l’Esprit était vraiment à l’œuvre à travers la foi des personnes ordinaires.
Enfin, nous avons entendu de nombreux témoignages d’une forte augmentation de l’énergie et de l’espérance dans l’Église, autant que de l’ouverture de nouveaux horizons et de nouvelles possibilités grâce à la synodalité. Nous sommes reconnaissants de ces transformations et des signes de l’action de l’Esprit en elles
#2 Les bonnes pratiques
Nous sommes également reconnaissants pour les bonnes pratiques et manières d’être qui ont facilité ces transformations.
Au cœur de celles-ci se trouve la pratique de la conversation spirituelle avec ses différents éléments : la prière, le silence, l’animation pour assurer une écoute structurée et rigoureuse, une participation égale, etc.
Les rencontres personnelles en petits groupes ont été considérées comme particulièrement importantes. Elles ont permis aux participants de partager des expériences concrètes plutôt que des vues abstraites ou des opinions générales, dans une atmosphère qui permettait d’entendre ce que l’Esprit pouvait dire à travers ces expériences.
Des attitudes et des positionnements utiles ont été soulignés : se réjouir de la diversité et être prêt à écouter des voix extérieures ou des remises en question ; traverser dans la confiance nos tensions et nos désaccords sans chercher à les résoudre mais en leur permettant de porter des fruits pour nous faire grandir. Nous avons insisté sur l’importance de la patience, de la confiance et du réalisme dans nos attentes, ainsi que sur une attitude d’humilité, d’ouverture et de discernement.
Deux autres points ont été soulignés. Le premier est l’importance de la formation : elle permet en effet de comprendre le style et le but des processus synodaux et la raison d’être de la remise à l’honneur de ces anciennes méthodes.
Le second point qui a été souligné, c’est que la synodalité s’apprend en en faisant l’expérience : sa pratique est un véritable learning by doing. Ceux qui y ont participé ont été transformés en la pratiquant et ils ont dès lors perdu la peur qu’ils pouvaient en avoir. La clé du développement de la synodalité dans l’Église catholique romaine réside dans cette réflexion, en apprenant toujours comment promouvoir cette expérience et adapter les méthodes en fonction du contexte.
#3 Obstacles
Nous avons également discuté des obstacles et des mentalités qui nuisent à la pratique de la synodalité. Les processus synodaux ont parfois été réduits à une focalisation sur les questions structurelles et fonctionnelles, avec peu de prière et peu d’ouverture à ce que l’Esprit pouvait susciter. Inversement, il y a eu un risque que les processus synodaux ne se soient pas traduits par des changements structurels là où ils s’avéraient nécessaires.
D’autres obstacles ont été relevés comme le manque de conviction ou de soutien pour les processus synodaux de la part de ceux qui détiennent l’autorité ou encore, dans certains cas, une résistance active qui a fait que des personnes sont restées à l’écart. Dans d’autres cas, la synodalité a été confondue avec un simple partage d’opinions.
Ont également été considérés comme nuisibles le défaitisme et le scepticisme qui trouvent souvent leur origine dans la peur du changement, l’attachement à certaines habitudes, le désir de se réfugier dans le passé et la peur de l’étranger.
Paradoxalement, alors même qu’il y avait dans la demande synodale une plus grande fraternité et communion, on a peut-être pu constater une polarisation plus forte au moment d’y répondre.
Nous avons encore souligné le danger de n’écouter que les voix familières. L’auto-exclusion ou l’exclusion par les autres ont affaibli la synodalité. Si l’expression d’émotions fortes a fait partie d’un vrai partage, le blocage qu’elle a provoqué a pu poser problème. D’autres attitudes nuisibles ont été constatées comme l’impatience face à la lenteur des processus synodaux, la focalisation sur des résultats spécifiques (et la déception lorsqu’ils ne se produisent pas), ainsi qu’une attitude rigide engendrant de l’immobilisme.
#4 Recommandations
Au terme de notre rencontre, nous avons réfléchi aux mesures ou actions concrètes qui pourraient être prises actuellement pour faciliter la conversion synodale de l’Église catholique romaine à tous les niveaux.
Conscients que le défi principal de l’Église catholique romaine en Europe est la distance entre l’Église institutionnelle et les personnes ainsi qu’entre les différents groupes dans l’Église (DEC 22-27), nous proposons que l’on se concentre sur le développement de plateformes de rencontre : des espaces synodaux où les expériences des personnes seraient prises au sérieux et qui permettraient une écoute mutuelle et une croissance en communion. Par le biais du dialogue interne, du dialogue œcuménique et même du dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté, l’Église catholique romaine peut mieux comprendre la révélation de Dieu (cf. Gaudium et spes 44). Cela nous aidera à mieux proclamer, comme à la Pentecôte, l’Évangile dans la langue de nos contemporains.
#4.1. La conversation spirituelle
Tout cela requiert l’introduction d’habitudes synodales à tous les niveaux de l’Église catholique romaine : paroisse, diocèse, conférence épiscopale, région, etc. Mais cela dépendra aussi du fait que chacun dans l’Église discerne où mette dès à présent en œuvre la conversation spirituelle dans les activités quotidiennes de son groupe, de son mouvement, de ses actions caritatives, de ses projets ou d’autres types d’initiatives. Par ce moyen, nous donnerons corps à cette vérité théologique selon laquelle l’Église est le peuple de Dieu.
#4.2. Valoriser la formation et les bonnes pratiques
Cette conversion synodale à la base exige également un partage optimal des pratiques, des outils et des idées à travers des réseaux ecclésiaux ainsi qu’un véritable engagement dans la formation des évêques, des prêtres, des religieux et des fidèles laïcs. Elle ne pourra se faire sans un leadership qui facilite le processus de discernement et prenne au sérieux son résultat. Par ailleurs, une telle conversion supposera une prise de conscience et une réflexion sur les lieux de pouvoir et ses modalités d’exercice.
#4.3. Des processus synodaux aboutissant à des changements concrets
Enfin, il est essentiel que les personnes voient que les processus synodaux conduisent à des changements concrets et qu’on puisse donc leur faire confiance.
Conclusion
Nous avons quitté la rencontre réconfortés par l’esprit synodal d’une Église en marche (Church on the way). Nous l’avons expérimenté durant ces journées moyennent un engagement renouvelé à contribuer à sa réalisation. Nous espérons que ces quelques réflexions et perspectives contribueront à la vitalité des travaux à Prague et à la fécondité du synode sur la synodalité.
Préparé par le comité de rédaction : Austen Ivereigh, Philippe Berrached, Alphonse Borras, Arnaud Join-Lambert, Jos Moons, Björn Szymanowski.
Comité d’organisation de la réunion : Aldegonde Brenninkmeijer, Jean Ehret, Hans Geybels, Arnaud Join-Lambert, Jos Moons.
Les intertitres secondaires sont de la rédaction de Cathobel