L’assemblée continentale synodale s’est achevée ce dimanche 12 février à Prague. Arnaud Join-Lambert, professeur de théologie à l’UCLouvain, était aussi l’un des six rédacteurs du document final qui synthétise les résultats de la rencontre. Il nous livre son analyse.

Comment évaluez-vous les travaux de l’assemblée synodale européenne?
Il faut dire d’abord qu’une assemblée vraiment continentale, rassemblant des évêques, des prêtres, des diacres, des laïcs, des religieuses et des religieux, était une première. Par conséquent, c’était un apprentissage, du point de vue de la méthode, mais aussi une découverte pour les participants. A la fois quelque chose d’un peu insécurisant, et à la fois un beau moment pour beaucoup. Plusieurs groupes de travail ont dit combien l’écoute mutuelle a été une expérience spirituelle et humaine très forte, avec une découverte de réalités très différentes, avec des personnes qui ont des approches et un regard sur le monde et sur l’Eglise très différents.
Il y a également eu des questions et des tensions, mais l’assemblée a compris qu’elles peuvent positives, constructives, qu’elles peuvent être des opportunités pour le discernement, pour que l’Eglise reconnaisse cette diversité, tout en ayant des éléments communs comme le baptême, la dignité baptismale et le Christ lui-même. Cette tension peut dégénérer en polarisation, voire en oppositions destructives, mais sont aussi des occasions de déplacement, de croissance. Cela dit, certains refusent complètement d’entrer dans la diversité, ce qui a pu entraîner, au-delà des tensions, des réactions assez fortes.
Vous avez des exemples concrets de telles réactions?
Certaines conférences épiscopales, dans quelques pays d’Europe de l’Est, n’ont pas joué le jeu du synode, ou très peu, dans la phase diocésaine et nationale. Le rapport hongrois n’était pas vraiment le rapport de l’Eglise hongroise… Certaines choses ont été magnifiques, mais quelques personnes étaient sur la défensive. Il y avait une crainte que les discussions sur l’attitude de l’Eglise – vis-à-vis des personnes marginalisées auxquelles ont devrait donner la parole, par exemple –, l’ouverture, la pastorale, remettent en cause des éléments de doctrine qui, pour ces personnes, ne peuvent pas être remises en question. Il y avait donc quelques personnes crispées, dont plusieurs évêques.
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Mgr Georg Bätzing, le président de la conférence des évêques allemands, semble dire qu’on n’a pas beaucoup avancé… Qu’en pensez-vous?
Avec ce qu’est l’Eglise catholique dans le contexte européen, on pouvait difficilement faire mieux que ce qui a été fait. Parler ensemble, échanger, s’écouter, réfléchir sur la diversité… Mais dans le rapport, il y a aussi des éléments forts, mais inimaginables dans certains contextes. C’est la réalité d’une Europe qui, du point de vue sociétal et ecclésial, n’est pas homogène sur certains points. Elle vit dans un contexte de sécularité, mais la manière d’appréhender celle-ci n’est pas la même à l’est et à l’ouest. Pour les uns, la sécularité est appréciée positivement, elle est le contexte dans lequel on rentre en dialogue avec les autres pour annoncer l’Evangile. C’est le message des Belges, des Français, même des Portugais et des Italiens. Et puis il y un message plutôt oriental disant qu’il faut se méfier de la sécularité, une vision plutôt de protection contre la culture, parce qu’elle serait opposée à l’Eglise, voire au Christ et à Dieu.
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Quels sont les résultats de ces quelques jours de travaux ? Qu’est-ce que cette assemblée européenne laisse présager pour la dernière étape du synode, qui doit se dérouler d’octobre 2023 à fin 2024?
Je vois deux apports majeurs de cette assemblée européenne continentale au processus romain. Le premier, c’est justement cette possibilité, ou même ce devoir en Eglise catholique, d’acter la diversité en son sein. Non pas comme une charge, mais comme une chance pour être présent dans les différentes cultures en Europe. Et cela, c’est possible en Europe, avec quelque chose qui n’existe pas vraiment dans les autres continents. A savoir la tradition de la liberté religieuse et de l’autodétermination, qui est ancrée dans la société européenne et plus ou moins également dans les Eglises d’Europe. Sur ces questions, il peut y avoir un apport européen à la démarche universelle de l’Eglise.
Le deuxième, c’est l’apprentissage de l’assemblée elle-même, qui s’est traduit par une demande reprise dans le document final: que ce type d’assemblée ecclésiale puisse se reproduire, pourquoi pas comme un synode d’Europe, pour avancer dans cette connaissance commune, ce discernement, notamment sur la manière dont la diversité nourrit la mission. Une demande concrète, qui a été notée et applaudie, est d’organiser une assemblée ecclésiale européenne en 2025, donc après le synode romain, et pour l’anniversaire du concile Vatican II. Bref, il s’agit de poursuivre l’apprentissage synodal. On est au début de quelque chose au niveau européen, et il faut que cela puisse continuer.