Cette semaine, le journal Dimanche consacre un large dossier à la situation syrienne. Découvrez ici comment Bachar el Assad a su se servir de la minorité influente des chrétiens en se présentant comme rempart contre l’épouvantail djihadiste qu’il a lui-même alimenté. Certains ont résisté. Ils l’ont payé de leur vie.
Les chrétiens, qui représentent 5 à 10% de la population, se sont généralement peu engagés dans la guerre. Ils ont été largement instrumentalisés par le président Bachar al-Assad, comme l’illustrent certaines figures. Pensons à l’ancien patriarche grec catholique Grégoire III Laham, ou encore Mère Agnès Mariam de la Croix, considérés comme des agents du régime et proches du Général Aoun.
A l’instar d’Aoun, l’ancien patriarche est proche de l’extrême droite française dont émane SOS Chrétiens d’Orient (à ne pas confondre avec l’Œuvre d’Orient ou Solidarité Orient), une association sensée venir en aide aux chrétiens d’Orient. Mediapart a montré que leurs fonds alimentaient des milices pro-Assad. Une enquête pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité a été ouverte en France.

Une religieuse sulfureuse
Grâce à de généreux donateurs publics et privés, le monastère de Mar Yacub rutile et pas seulement de la lumière des montagnes de l’anti Liban. On y découvre même l’une ou l’autre pièce d’art, comme sortie du Musée de Damas.
Mère Agnès Mariam de la Croix, la fondatrice franco-libanaise, d’origine palestinienne, est considérée par les observateurs avertis comme « l’une des meilleures propagandistes de Bachar ». En novembre 2011, alors que les journalistes avaient du mal à entrer en Syrie avec un visa officiel, les portes s’ouvraient miraculeusement par son intermédiaire – comme nous en avons fait l’expérience. Mère Agnès était à la manœuvre. Nous étions alors encadrés, surveillés par une dizaine de personnes du Réseau Voltaire, aux grandes théories complotistes, avec leur patron Thierry Meyssan, confiant être un conseiller de Bachar après avoir été celui de Kadhafi.
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Mort d’un journaliste français
Deux mois plus tard, une seconde équipe de journalistes européens, dont Gilles Jacquier pour France 2, voulut profiter du filon. Le grand reporter tenta de résister aux ordres de la nonne. Il sera tué à Homs devant son épouse et deux autres journalistes qui, au terme d’une vaste enquête, suspectent Mère Agnès de complicité avec le régime dans le livre Attentat express. Qui a tué Gilles Jacquier? Plus tard, Mère Agnès niera les attaques chimiques sur la population, prétendant les vidéos montées de toutes pièces.
Parmi les ouailles de la religieuse, un prémontré belge de l’abbaye de Postel, Daniel Maes, envoûté par le discours de cette dernière, a publié un livre: Poutine et Assad nous ont sauvés. Dans des lettres à ses connaissances, il écrit en décembre 2016: « Le pape François a écrit une lettre de sympathie et de soutien au président Bachar el-Assad. … Avez-vous connaissance qu’un pape ait jamais envoyé à Staline ou Hitler pareil témoignage? » La réalité est pourtant toute autre: le pape appelle à un arrêt des violences! Et le soutien, c’est à la population qu’il l’adresse, « en signe d’affection pour le peuple syrien bien-aimé, si durement affecté ces dernières années », écrit-il.
Témoins pour faire la vérité
Pour avoir résisté au dictateur, des assoiffés de justice et de solidarité comme Frans van der Lugt, les deux évêques orthodoxes d’Alep ou encore Paolo Dall’Oglio, ont payé de leur vie.
Bien connu pour avoir redonné vie aux ruines du monastère de Mar Moussa, le prêtre italien y avait fondé une communauté dédiée au dialogue islamo-chrétien. Avec sa fougue et la force de son amour pour le peuple syrien, Paolo Dall’Oglio avait très vite dénoncé la répression sanglante des appels à la liberté d’opinion et pris parti pour la révolution. Devenue la bête noire, expulsée par le régime, la grande figure du « croyant en Jésus, amoureux de l’Islam » était rentrée en Syrie, à Rakka. Le prêtre y avait été applaudi par la foule avant de se rendre au siège de Daech pour négocier la libération d’otages. C’est dans cette région qu’il disparaît fin juillet 2013.
Mais ce qu’il a semé ne meurt pas. Profondément meurtrie par la disparition de leur fondateur charismatique, la communauté, qui avait pour vocation l’accueil, choisit de rester en Syrie par solidarité. Malgré l’insécurité, elle se déploie en allant vers les habitants appauvris par la guerre, quelle que soit leur religion, et répond aux besoins de médicaments, de soin, d’enseignement…
A côté du Père Dall’Oglio, des intellectuels chrétiens comme Michel Kilo ou le journaliste-citoyen et réalisateur Bassel Chahade, tué à Homs sous les balles du régime, comptent parmi ceux qui ont osé parler, s’opposer à la volonté du pouvoir de confessionnaliser le conflit en choisissant entre Bachar ou Daech.
L’ambiguïté de l’Eglise en Syrie
La minorité chrétienne reste tiraillée entre une prise d’otage par le régime et le témoignage pour la justice. Nombreux sont encore ceux qui pensent nécessaire d’endiguer l’islam sunnite majoritaire (près de 80%), fût-ce sous la férule d’un dictateur. Mais d’autres osent encore rêver de réconciliation dans un pays, mosaïque de cultures et de religions, connu pour son vivre ensemble interreligieux.
Des œuvres caritatives comme le Jesuit Refugee Service, Solidarité Orient ou l’Œuvre d’Orient, font, non sans concessions, un travail remarquable auprès des victimes de la guerre, sans distinction de religion, ni d’opinion politique. Des communautés religieuses comme celle de Mar Moussa poursuivent leur travail de dialogue islamo-chrétien. Fidèle à sa vocation d’hospitalité, le monastère a rouvert ses portes. L’appel à la fraternité résonne toujours de la voix puissante et chaleureuse de Paolo Dall’Oglio au cœur du désert.
Béatrice PETIT
A écouter: RADIO – Il était une foi … un regard sur la Syrie et le Liban