
Dès le début, on ne la sentait pas trop, cette Coupe du Monde.
Il y avait eu ce choix désastreux de l’offrir à un pays où les ouvriers sont exploités, parfois jusqu’à en mourir. Où les droits de l’Homme sont bafoués. Où les stades sont climatisés. Et où, en plus, ils ne sont pas fort remplis.
On avait hésité à boycotter. Mais on avait fini par craquer. Surtout pour les Diables Rouges. Il faut dire qu’on avait leur âge – celui des plus vieux. On avait grandi avec Jan, Toby et Axel, et on les aimait bien, ces petits gars. Un peu vedettes mais pas trop. Un peu du Nord, un peu du Sud et un peu d’ailleurs. Mélangés, engagés, sympas. Et en plus, ils avaient le soutien du roi… Voilà pourquoi on avait décidé d’assister à leurs exploits.
Puis, il y eut le Canada – une moche victoire. Puis le Maroc – une pâle défaite. Puis la Croatie – un malheureux nul. Puis… plus rien – et un
grand vide.
Une tristesse aussi. Et cette tristesse n’était pas seulement vive, elle était amère. Bien sûr qu’on regrettait les blessures dont nos joueurs avaient été victimes. On en voulait aussi un peu à Romelu, qui aurait dû concrétiser au moins l’une de ses occasions. On râlait encore sur le coach Martinez. Pourquoi n’avait-il pas fait jouer Jérémy Doku davantage?
Mais l’amertume venait d’ailleurs. Que Jan soit un peu moins rapide qu’avant, qu’Eden ait perdu de sa virtuosité, que Romelu soit un brin moins efficace… Tout cela était triste. Mais ce n’était pas grave. Ce qui était grave, c’est que l’équipe avait perdu ce qu’elle avait de plus précieux. Le seul talisman qui lui était indispensable. Ce dont elle ne pouvait se passer. Les Diables Rouges avaient perdu leur esprit d’unité.
Ce qui était grave, c’était de voir Kevin gueuler sur Toby. De lire qu’Eden et Leandro ne se parlaient plus. De se demander si ces joueurs avaient encore confiance en leurs équipiers. Et s’ils partageaient toujours un projet commun.
Car si l’on regarde le foot, ce n’est pas seulement pour voir des dribbles et des jolis buts. C’est parce que le foot est là pour nous aider à ne pas oublier que dans nos vies aussi, il y a des exploits et des gros loupés, des beaux gestes et des occasions manquées, des victoires et des défaites. Pour nous rappeler que la vie est un sport collectif. Et que si l’on reste unis, l’espoir sera toujours permis.
Vincent DELCORPS