
« Jobs, jobs, jobs! » Souvenez-vous: tel un mantra, voilà ce que ne cessait de répéter, il y a quelques années, un Premier ministre belge. L’homme estimait que la création d’emplois était quelque chose d’essentiel. Et il avait raison. Le fait d’exercer un travail favorise la dignité et la liberté de l’individu. La création d’emplois permet aussi de générer des revenus qui, par le mécanisme de l’imposition, participent au financement de projets communs et au soutien des personnes précarisées. Voilà donc pourquoi, comme beaucoup d’autres avant lui, ce Premier ministre tenait tant à la création d’emplois. Et voilà pourquoi son slogan était excellent.
Ou plutôt: il était presque excellent.
Car ce slogan comportait aussi des limites. Des angles morts. Relevons-en deux.
Sacraliser ainsi les « jobs » revient en fait à valoriser une forme de travail: le travail rémunéré. Et à valoriser une catégorie de personnes: celles qui ont la chance d’en avoir un. En prétendant que la possession d’un emploi rémunéré est sans prix, ne court-on pas le risque de considérer ceux qui n’en ont pas, pour quelque raison que ce soit, comme étant sans valeur?
Sacraliser ainsi les « jobs » revient à sacraliser tout job. N’importe quel job! N’y a-t-il pas là un piège: celui de sacrifier la qualité à la quantité? Celui d’éluder le débat sur le type d’emplois. Or, aujourd’hui, ce débat s’impose à nous (lire page 6).
Comment ai-je envie de m’épanouir professionnellement? Cette question, tant de gens se la posent. On ne compte plus les victimes des jobs aliénants. En même temps, ils sont nombreux, des jeunes notamment, à délaisser le marché du travail traditionnel, s’indigner des méthodes de management classiques, refuser d’encore sacrifier leur vie aux ukases du patron. Parce qu’ils sont en quête de sens.
Collectivement aussi: par notre travail, quel monde sommes-nous en train de construire? Nous engageons-nous en faveur d’une société meilleure? Répondons-nous vraiment aux défis de notre temps? Ou ne servons-nous les intérêts que de quelques-uns – éventuellement même aux dépens de tous les autres?
Le travail rémunéré peut être formidable. Mais il ne l’est que lorsqu’il est réellement au service de nos contemporains et de notre monde.
Vincent DELCORPS