Comment conjuguer en matière éducative, « la passion de l’avoir » (recherche de compétitivité, etc) et celle de l’être? C’est la question que pose Baudouin De Rycke, enseignant, essayiste, en réaction au propos du président français.

Monsieur le Président,
Le 6 mars, à Poissy, vous avez souligné à juste titre l’extraordinaire importance de l’éducation, notamment dans le cadre des activités sportives, qui lui conviennent à merveille.
Politique saine et adaptée aux circonstances
Si, dans le contexte actuel, une politique éducative volontariste s’impose comme une évidence, c’est que ce projet porte clairement en lui les remèdes au mal qui frappe nos sociétés actuellement déboussolées. Pour ceux qui n’en seraient pas encore convaincus, rappelons que l’éducation, outre les bienfaits qu’elle apporte à la santé physique par l’instauration d’un rythme de vie plus ordonné, renforce en outre la santé mentale de multiples manières. Et pour cause…: elle pousse à réfléchir, à créer, à s’engager, à s’adapter, évitant à celui qui en bénéficie de se vautrer dans la masse et de répondre innocemment aux appels incessants à la facilité. À terme, elle donne à chaque individu persévérant les moyens de développer sa spécificité et de réaliser sa plénitude.
…inapplicable, hélas, pour cause d’incohérence
Beau programme, s’il en est…Néanmoins, son existence ne garantit pas la réussite de son application. À cet égard, la formation joue évidemment un rôle capital. Mais les armes diverses (psychologiques, pédagogiques…) auxquelles on initie nos éducateurs et nos enseignants sont-elles toujours en mesure de contrer ces multiples incohérences qui, de nos jours, tourmentent en permanence la « machine éducative » ?
Qui peut croire en effet qu’un peuple puisse grandir en sagesse et en sérénité sous l’égide d’un pouvoir qui lui fait suivre (simultanément !) deux voies qui charrient des valeurs radicalement opposées qui s’affrontent en permanence dans une guerre des nerfs terriblement
corrosive et démotivante (1) ?
Les compétences avant tout
D’un côté, la passion de l’avoir (pouvoir d’achat), amie de la rentabilité et de cet esprit de compétitivité, si nuisibles aux exigences de concentration et de rigueur que réclame le travail intellectuel. Passion exacerbée encore par cette volonté politique de combiner les objectifs de l’entreprise et ceux de l’école (les compétences avant tout !), réduisant bien souvent cette dernière à une volonté de pure et simple insertion, au détriment de la formation humaine. Il en découle, au profit du commerce, une série de vices : avidité, individualisme, abus de pouvoir, intolérance, indifférence (loi du plus fort), jalousie, arrogance, mensonge, ruse, duplicité, méfiance, agitation, impatience, précipitation, superficialité, agressivité…
De l’autre, à travers le sport, la culture et les efforts éducatifs, familiaux et scolaires, la passion de l’être, qui génère exactement le contraire : humilité, générosité, sincérité, transparence, droiture, confiance, patience, tempérance, ouverture, tolérance, profondeur, bienveillance… : en somme, la guerre des moutons et des fleurs…qu’évoquait Saint-Exupéry dans Le Petit Prince. (2)
Deux maîtres…
En réalité, comme le disent les évangiles de notre époque déchristianisée, nous voulons à la fois le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. C’est une façon comme une autre de rappeler ces paroles inoubliables (mises prudemment au placard pour ne pas chauffer outre mesure les oreilles des
consciences laïques radicales) : nul ne peut servir deux maîtres : car, ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. (Mathieu 6 :24). Ainsi, quelle que soit notre sensibilité philosophique, nous fabriquons inlassablement nos problèmes dans notre indifférence à ces principes
élémentaires.
Qu’une terre judéo-chrétienne puisse refuser aussi obstinément de s’arrimer à pareille évidence dépasse d’ailleurs l’entendement. Sans doute n’arrive-t-elle plus à parler à son âme sa langue natale (3), laissant ainsi à ses démons toute liberté de la séduire et de la rendre souveraine dans l’art de se mentir à elle-même.
Comme l’écrivait Baudelaire… :
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. (4)
L’ORGUEIL, encore et toujours lui…
Baudouin De Rycke, enseignant, essayiste (Montigny-le-Tilleul, Belgique)
——
(1) Problématique développée dans le journal La Libre (article publié en ligne le 8 octobre 2020 sous le titre « Comment les dernières prouesses technologiques et la course au profit dérèglent l’éducation »
(2) Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, chapitre VII.
(3) Baudelaire, Les fleurs du mal, L’invitation au voyage (v.25-26).
(4) Baudelaire, Les fleurs du mal, Au lecteur (v.1-2 et 5).