« Mourir, c’est une rencontre longtemps retardée avec un ami. », confiait l’abbé Pierre quelques mois avant sa mort au père Charles Delhez. Henri Grouès, devenu abbé Pierre par son action de résistant, est décédé le 22 janvier 2007. En hommage, relisons les mots de cet interview publiée dans Dimanche.

Henri Grouès, vous connaissez ? Sans doute que non. Mais si on vous parle de l’abbé Pierre, son nom de résistant, il n’y a plus de problèmes. Depuis vingt ans, ce prêtre français est classé dans le trio de tête des personnages préférés des Français. Un vieil homme tout frêle, vivant dans quelques mètres carrés en banlieue parisienne. Son totem scout : castor méditatif. Une vraie prophétie, dit-il en souriant : J’ai beaucoup bâti comme les castors, et « méditatif » parce que c’est comme ça ! A la racine de sa vie : le désir d’être un saint !
Souvenirs d’enfance
Henri Grouès est né à Lyon en 1912. Son père était un homme d’affaires très attaché à servir, au-delà des affaires, tout ce qui concernait l’enfance malheureuse ; sa mère était débordée avec ses huit enfants. « Dans mes plus lointains souvenirs de gosse, explique-t-il dans son dernier livre Je voulais être marin missionnaire ou brigand, les mots « sauvetage de l’enfance », « adoption » sont ceux qui résonnent le plus en moi, tant on parlait souvent à la maison de ces deux associations auxquelles papa consacrait beaucoup de son temps et de ses forces.«
Henri fut un adolescent tourmenté et à l’âme poétique, en proie parfois aux doutes et à la détresse. Il deviendra celui qui, par une simple apparition dans les médias, est capable d’interpeller tout un pays. Il a fondé les Compagnons d’Emmaüs qui rassemblent actuellement, de par le monde, 3500 compagnons en 112 communautés.
Viens!

Au mois d’août dernier [1992], l’abbé Pierre fêtait ses nonante ans. Comment allez-vous ? « Je vais très bien, pense-t-on. Mais chaque effort me laisse épuisé. » Et pourtant, la rencontre est toute cordiale. De son regard limpide et droit, il accueille son interlocuteur, attentif à bien des détails.
A cet âge, la mort approche. Mais il vit cette perspective avec une certaine impatience : « La voir comme la rencontre, enfin sans ombre, sans limites, de ce qui n’a jamais cessé de crier en nous viens !…« , a-t-il pu écrire dans ses dialogues avec Bernard Kouchner. Et l’abbé Pierre de se souvenir de cette aventure près de Rio de la Plata. Le bateau dans lequel il voyageait venait de brûler, faisant quatre-vingts morts. Aux journalistes qui l’interviewaient après cet accident, il répondit : « Mourir, c’est une rencontre longtemps retardée avec un ami. »
Charles DELHEZ