
C’était il y a presque deux ans. Une période sombre. Dans les rues, pas un chat. Dans les hôpitaux, l’angoisse. Dans les maisons de repos, la terreur et la solitude. La lumière, pourtant, n’avait pas disparu. Le soir, c’est depuis les balcons qu’elle brillait. Sur le coup de 20 heures, les gens (qui avaient la chance d’avoir un balcon) sortaient. Et, avec leurs mains, exprimaient leur reconnaissance pour les super-héros du moment. Les blouses blanches. Les soignants.
Pourquoi étions-nous à ce point touchés par eux?
Parce qu’alors que tout était à l’arrêt, ils étaient au front. Ils ne se contentaient pas de sauver des vies; pour ce faire, ils acceptaient de se mettre eux-mêmes en danger.
Parce que nous découvrions soudainement le caractère essentiel de leur mission. Soigner n’apparaissait plus comme une activité parmi d’autres, mais comme celle de qui dépendait notre avenir.
Parce que nous prenions conscience que, malgré ces deux premières raisons, les soignants œuvraient dans des conditions souvent rudes, dures, précaires. Et au fond de nous, nous avions un peu honte.
Aujourd’hui, l’urgence n’a pas disparu; elle nous paraît même plus large. La crise nous a démontré l’importance de celles et ceux qui font du soin leur profession. Mais elle a aussi montré l’importance du soin… dans toutes ses dimensions! Et la nécessité de fonder une culture nouvelle.
Car non, il n’est pas souhaitable de vivre dans un monde où seuls les soignants pourraient soigner. Dans un monde où l’on ne pourrait montrer ses vulnérabilités que dans des lieux aseptisés. Dans un monde qui ne remettrait pas en question le caractère violent de son mode de fonctionnement – et se contenterait d’en envoyer les victimes consulter des spécialistes…
Aujourd’hui, le soin est appelé à devenir un programme, un projet collectif: tous, nous sommes appelés à nous soucier les uns des autres. A défendre des politiques qui préservent, accompagnent, encouragent. A devenir soignants. Mais aussi à reconnaître nos propres vulnérabilités. A accepter les mains tendues. A devenir soignés.
Paradoxalement, n’est-ce pas dans une société où l’on peut se montrer « moins bien » que l’on peut aussi se sentir « mieux »? Peut-être est-ce même en construisant cette société-là qu’on allégera la pression sur certains services. Et que l’on rendra, aux soignants, le plus beau des hommages.
Vincent DELCORPS