L’épisode est bien documenté. Le 25 décembre 1914, alors qu’ils se battent sans relâche depuis plus de quatre mois, des soldats quittent soudainement leurs tranchées, et se déplacent dans le camp d’en face. Le miracle se produit : ici, on se prend en photo; plus loin, on chante; làbas, on ira même jusqu’à taper dans un ballon. L’épisode entrera dans l’histoire sous le nom de « trêve de Noël ».

Ce récit s’inscrit dans une tradition. Dès le Moyen Age, en Europe, l’Eglise avait pris l’initiative d’imposer la suspension des combats à l’occasion de certains temps liturgiques – et notamment à Noël. Formalisée lors d’un concile tenu à Arles au début du deuxième millénaire, la « trêve de Dieu » était particulièrement appréciée des populations.
Nous avons beaucoup de chance: notre pays n’est pas en guerre. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas divisé. Depuis quelques semaines, un clivage nous menace particulièrement. Il ne s’agit pas de celui qui oppose partisans et adversaires du vaccin – pareille question mérite certainement une diversité d’opinions. Le clivage qui nous menace est celui qui divise ceux qui, sur le sujet, acceptent de dialoguer, et ceux qui, persuadés de détenir la vérité, s’en montrent incapables.
Et là, on a un sérieux problème. Entre voisins, entre collègues… Même à l’intérieur des familles! Dans certains foyers, Noël s’annonce d’ailleurs comme un véritable casse-tête. Va-t-on vraiment inviter ces deux-là? Comment faire pour éviter d’aborder le sujet? Ailleurs, on a déjà tranché: on sait que ces deux tantes, ces deux frères ne se verront pas. Et ce qui vaut sur le plan interpersonnel s’observe aussi sur le plan sociétal.
Stigmatisations, accusations, violence… Sur la délicate question vaccinale, nos démocraties se trouvent en difficulté. Et c’est au coeur de ces réalités que Noël surgit. Même si le temps liturgique nous a offert quatre semaines pour nous y préparer, l’événement nous surprend toujours – il nous prend un peu de cours… Il peut aussi rassembler. Car en faisant un pas vers la crèche, nous ne pouvons que nous rapprocher de nos contemporains. Cette année, ne sommes-nous pas appelés, chacun, à faire un pas vers un autre camp? Sans rien perdre de ce qui nous est propre. Mais en nous rappelant que ce(lui) qui nous unit est – et sera toujours – plus fort que tout.
Vincent Delcorps