
C’est l’histoire d’un roi, dévoué et visionnaire, courageux et volontaire, qui aimait son pays. Et qui voulait le rendre plus grand. Pour ce faire, il s’en alla au loin, conquérir des terres nouvelles, apporter le progrès, le génie, la civilisation. Il le fit pour la plus grande gloire de la Nation. Tout en repartant avec un peu de caoutchouc dans les poches.
C’est l’histoire de missionnaires, dévoués et visionnaires, courageux et volontaires, qui aimaient leurs prochains. Et qui voulaient se mettre à leur service. Pour ce faire, ils s’en allèrent au loin, convertir des âmes nouvelles, apporter la foi, la liberté, la connaissance. Ils le firent pour la plus grande gloire de Dieu et des hommes. Emportant dans leur cœur la fierté du devoir accompli.
Ces histoires, on ne peut plus les raconter. Pas seulement parce qu’elles ne sont plus audibles, mais aussi parce qu’elles ne sont pas tout à fait vraies. Et bien qu’elles soient plutôt fausses, et parce qu’on les a beaucoup racontées, on a fini par les croire. Et encore aujourd’hui, même si l’on sent qu’elles ne sont pas vraiment vraies, on continue à vouloir croire qu’elles ne sont pas franchement fausses. Et à les trouver jolies. C’est pour ça qu’elles continuent à imprégner nos mémoires. A habiter notre culture. A influencer nos manières d’agir et de penser. Et à faire des dégâts.
Le problème de ces histoires, c’est qu’elles en cachent d’autres. Celles de colonisés, de victimes. Des histoires violentes. La question n’est pas ici de savoir si la colonisation n’a pas eu d’effets bénéfiques – bien sûr qu’elle en a eu – ni de savoir si certains colons n’étaient pas habités de bonnes intentions – bien sûr qu’il y en avait, nombreux! L’enjeu est ailleurs: il consiste à proclamer – et à intégrer – une fois pour toutes que la colonisation était un processus intrinsèquement raciste. Et que si la colonisation est derrière nous, certains pans de nos sociétés et de nous-mêmes doivent encore être décolonisés.
En la matière, l’Eglise n’est pas moins concernée que d’autres acteurs – Etats, entreprises, géographes… A elle aussi, il revient donc de regarder son passé en face. Ni pour se tourmenter ni pour se culpabiliser. Mais pour libérer celles et ceux qui, aujourd’hui encore, s’y trouvent prisonniers.
Vincent DELCORPS