Quand Emilio Platti (1943-2021) invitait l’islam à se renouveler


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Quand Emilio Platti (1943-2021) invitait l’islam à se renouveler
Par Vincent Delcorps
Publié le - Modifié le
4 min

C'est dans la nuit de dimanche à lundi que le dominicain belge, né en 1943, s'en est allé. Ce spécialiste des relations entre christianisme et islam, passionné de dialogue, avait enseigné à la KULeuven et à l'Institut catholique de Paris. Il avait aussi présidé le Centre El Kalima.

Emilio Platti

©Dominicains

En 2016, pour la revue RiveDieu, le père Charles Delhez, ancien rédacteur du journal Dimanche, s'était longuement entretenu avec le Emilio Platti. En hommage, nous reproduisons ici des extraits de l'entretien.

Père Emilio Platti, en deux mots, le djihadisme est-il l’islam ?
Non. L’islamisme – et davantage encore le djihadisme – n’est pas l’islam. L’islamisme se concentre sur le détail, sur une seule dimension de l’islam : le droit, la charia, la loi. Il s’agit d’une application littéraliste en vue d’instaurer un État islamique. Ses membres veulent restaurer l’islam, en revenir à sa forme médiévale. Il faut encore le distinguer d’avec le salafisme qui veut aussi restaurer la communauté musulmane des premiers temps de Médine, lorsque le prophète, avec les premiers compagnons, a fui la Mecque (622-632).

Vous invitez à « penser l’islam autrement »…
L’islam doit en effet renouveler son discours religieux, vivre un « aggiornamento », comme disaient les catholiques au moment de Vatican II. Il est urgent de quitter le domaine du droit, de la fatwa, de la casuistique juridique et de retrouver les autres dimensions de l’islam. L’islam connaît une grande diversité depuis son premier siècle ; l’islamisme la nie. Il réduit l’islam à un mode de vie qui devient unique y compris pour l’humanité tout entière, oubliant que l’homme crée son histoire. Dans un État de droit moderne, on ne peut plus vivre avec la casuistique du Moyen Âge, tout comme, en Europe, on n’applique plus le droit de Louis XIV.

Quelle est la logique de l’islamisme ?
Dans l’islamisme, nous sommes dans une logique perverse : Dieu est un, il mène l’homme au salut, mais de manière unique. Ce discours-là est contredit par la modernité et entraine un clash des théologies. C’est un monothéisme poussé à l’extrême, où Dieu écrase l’être humain. Au Moyen Âge, il y avait deux grandes écoles musulmanes : l’une insistait sur la raison et sur la liberté ; l’autre, sur le prédéterminisme. Cette dernière, adoptée par l’islamisme, entre de manière brutale en conflit avec la modernité.

L’islam est-il un humanisme ?
L’islamisme, certainement pas, mais l’islam, oui. Il donne en effet un espoir de salut à l’homme. L’islam est une religion biblique. Le Coran est imprégné de la Bible, mais pas du Nouveau Testament. L’islam passe à côté de la révolution opérée par Jésus et par saint Paul, la libération par rapport à la Loi. Les théologiens arabes chrétiens se sont précisément opposés sur ce point aux théologiens musulmans et au prédéterminisme coranique.

Dans le Coran, il y a certains versets violents. Comment vous situez-vous par rapport à eux ?
Je n’ai jamais eu trop de difficultés avec ces versets. Le contexte permet de comprendre que Mahomet, voyant l’opposition violente dont il était l’objet (on a voulu l’assassiner), ait réagi par une certaine violence, et il a gagné. Mais on ne peut pas généraliser. Ce que fait l’islamisme, précisément, c’est de généraliser et d’entrer ainsi dans une logique violente. Les musulmans dévots, eux, se rendent compte que cette généralisation est indue. Ces versets violents sont en effet tempérés par d’autres versets que l’islam a toujours valorisés. Les versets tolérants sont des principes majeurs tandis que ceux du glaive concernent des événements particuliers. L’islamisme renverse cette hiérarchie.

La rencontre entre un croyant musulman et un croyant chrétien est-elle possible ?
L’islam, c’est l’organisation de la vie par la charia. Mais la foi en Dieu nous est commune. Toute la question est de comprendre l’islam à partir de Dieu, et non de la charia. Alors, une rencontre est possible. Notre foi commune en Dieu nous permet un enracinement du respect de l’humain. On a peut-être trop accentué le débat théologique au lieu de développer la rencontre de la foi. Or nous pouvons être ensemble de par notre foi en Dieu.

Propos recueilli par Charles Delhez

Catégorie : Eglise Belgique

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