Ce mercredi 6 octobre est donné le coup d'envoi de la 20e semaine du commerce équitable. Une bonne occasion d'aider les Belges à bien comprendre de quoi il s'agit.
Les Belges ont plus de mal qu'avant à reconnaître un produit qui paie le juste prix à son producteur et lui permet de vivre décemment. C'est le constat que fait Samuel Poos, coordinateur chez Enabel, l'agence belge de développement, suite à une étude d'opinion demandée sur la consommation responsable. "Il va falloir redéfinir le concept et, surtout, légiférer", dit-il. D'autant plus que ce ne sont pas les deux seuls critères qui interviennent.
Trop de labels différents, des notions d'écologie et d'économie, d'éthique, de respect, de justice sociale, de relations Nord-Sud... Autant d'indicateurs qui font que le consommateur se sent parfois perdu quand il veut acheter de façon responsable.
Cette enquête avait pour but d’appréhender les principales préoccupations des Belges, leurs critères de choix lors de l’achat de produits alimentaires, cosmétiques ou de vêtements, ou encore l’influence de la crise Covid-19 sur ses critères. L’étude visait également à mieux connaître la perception des Belges quant aux produits équitables, éthiques, biologiques, écologiques et locaux, l’importance qu’ils leur accordent et leur avis sur une éventuelle législation en matière de devoir de vigilance des entreprises.
Qu'est-ce qu'une consommation responsable ?
Paradoxalement, 30 % des Belges n’identifient pas suffisamment les produits équitables ; c’est particulièrement le cas parmi les jeunes.
La notion de consommation responsable renvoie principalement à des aspects écologiques, locaux ou durables de la consommation. Cette tendance vient confirmer ce qui avait été mesuré en 2020. Les Wallons associent davantage la consommation responsable à l’achat de produits locaux et à la réduction de leur consommation que les Flamands, qui eux identifient plus la consommation responsable comme l’achat de produits qui durent dans le temps.
Par contre, lier la consommation responsable à l’achat de produits équitables et éthiques est clairement moins évidente (moins de 15%) et n’évolue pas par rapport à 2020. 17% des plus âgés associent davantage celle-ci à l’achat de produits équitables tandis que 16% des plus jeunes, la relie à l’achat de produits éthiques. Des concepts proches mais différents malgré tout.
En réalité, 42% des Belges de moins de 35 ans ne savent pas ce que signifie un produit équitable. La notoriété des produits éthiques chute légèrement (84%) et quatre personnes sur dix qui ont déjà entendu parler des produits éthiques ne savent pas dire ce que cela signifie. Les Belges plus âgés et ceux ayant un niveau d’études plus élevé ont toujours une meilleure connaissance de la signification des différents types de produits. La compréhension de la notion de produits équitables est meilleure auprès des Wallons et des personnes habitant en milieu rural. Ce sont les Bruxellois qui ont la meilleure compréhension de la notion de produits éthiques.
Transition vers les produits européens
Quand la notion de "fairtrade" est apparue dans les années '50-'60, cela concernait surtout les achats de café, bananes et cacao - des produits venant d'autres continents -, aujourd'hui le commerce équitable concerne également notre relation avec nos producteurs locaux. Car les salaires payés dans nos contrées ne permettent pas nécessairement de vivre décemment en Belgique, relève Samuel Poos. Celui-ci précise cependant que de plus en plus de partenariats Nord-Sud sont créés. Ils permettent aux producteurs d'échanger sur les bonnes pratiques et de créer des filières. Par exemple, il existe une filière Nord-Sud "lait équitable". Elle permet aux producteurs d'obtenir un prix décent pour le lait. Cela ne veut pas dire qu'ils vont exporter leurs produits laitiers, bien au contraire car il y a tout intérêt, au Nord comme au Sud, d'acheter local.
La réflexion sur l'empreinte écologique du transport de produit joue sans doute dans cette démarche; mais aussi le fait que la crise du Covid a fait prendre conscience de la problématique de la souveraineté alimentaire. L'étude dont il est question relève d'ailleurs que, en 2020, les Belges se sont plus tournés vers des produits équitables locaux et un peu moins de produits équitables issus d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Dès lors, nombreux sont ceux qui se sont approvisionnés auprès de petits producteurs. Ceci dit, le budget consacré au commerce équitable n'est guère élevé.
Dans l’ensemble, les Belges sont plus attentifs à leurs achats aujourd’hui qu’avant la crise sanitaire. Comme cela était mesuré en 2020, les Belges ont plutôt l’intention de conserver ces comportements après la crise sanitaire
Statu quo pour la consommation de produits
En 2020, les Belges ont dépensé en moyenne 24,45 € en produits équitables par habitant, soit une somme à peu près équivalente à celle de l’année précédente (24,92 €). La proportion de produits équitables “classiques”, en provenance des pays du Sud, accuse un faible recul (19,32 € en 2020 contre 20,36 € l’année précédente), tandis que celle de produits équitables belges et européens a, elle, enregistré une légère progression (5,13 € contre 4,56 € en 2019).
Une analyse plus détaillée de la consommation par habitant de produits équitables Sud-Nord révèle que la Belgique ne figure pas dans le top européen: le Luxembourg (39 €), la Suède (46 €) et surtout l’Irlande (79 €) et la Suisse (99 €) ont fait nettement mieux en 2020.
L’analyse des critères de choix de différents produits montre que le prix reste le principal critère pour l’ensemble des produits testés.
Acheter équitable, oui! Mais comment le reconnaître?
Les Belges sont plus de la moitié (59 %) à estimer important de pouvoir acheter des produits équitables. Une tendance encore plus marquée parmi les personnes de plus de 55 ans (67 %). Dans le top cinq du classement par type de produits - éthiques, bio, équitables, locaux et écologiques -, les produits équitables arrivent en deuxième position derrière les produits locaux. L’analyse statistique des caractéristiques perçues des produits montre que les Belges font peu de distinction entre ces différents concepts et qu’il y a une relative confusion car l’ensemble des produits partage de nombreuses caractéristiques communes.
A noter que si les logos et labels sont bien connus, leur utilité est moins évidente. La moitié des Belges (plutôt les hommes) les ignore car ils ne comprennent pas la signification de la multitude des logos existants. L’autre moitié (plutôt les femmes) considère les labels comme des outils pratiques pour donner de l’information sur les produits.
Samuel Poos relève donc qu'il va falloir travailler sur le problème de compréhension: définir une juste rémunération, voir les liens avec l'environnement… "Nous constatons que le concept est moins précis que par le passé. Peut-être parce que tout apparaît de plus en plus lié: le commerce doit être juste socialement, économiquement et environnementalement parlant."
L'étude montre entre autres que moins de un Belge sur quatre conditionne ses achats au respect des producteurs et productrices ou travailleurs et travailleuses. Cela vaut surtout pour les achats de produits textiles où le respect des conditions de production est le second critère pris en compte (22%), alors qu’il est très peu considéré lors de l’achat de cosmétiques (7%) ou de produits alimentaires (5%).
Le commerce équitable, partenaire d'une société sociale et écologique
L’idée de devoir adapter son mode de vie et de consommation est relativement bien intégrée par près de deux Belges sur trois. Ils sont bien conscients que leurs comportements ont un impact sur le fonctionnement de la société et 39% d’entre eux disent avoir choisi de diminuer leur consommation de viande. La moitié des Belges reste malgré tout fidèle à leurs marques dans les grandes surfaces (principalement les plus âgés).
La Ministre fédérale de la Coopération au développement, Meryame Kitir affirme sa conviction "que le commerce équitable a un rôle important à jouer dans une société plus sociale et écologique. Il est important qu’il soit accessible à tous et que nous montrions aux gens qu’il va bien au-delà des produits habituels, comme le café, le cacao ou les bananes, provenant d’autres parties du monde."
Depuis plusieurs années déjà le concept de commerce équitable est ouvert aux produits locaux et nombre de nouvelles initiatives ont, depuis, vu le jour. Citons, à titre illustratif, le label Prix Juste Producteurs lancé en 2017 qui a depuis certifié plus de 77 produits locaux belges.
Le commerce équitable s’est également rallié à d’autres mouvements qui donnent la priorité aux personnes et à l’environnement, comme l’économie circulaire et l’upcycling. Il fait aussi son chemin dans le secteurs de la mode équitable.
Par ailleurs, des initiatives facilitent l’accès à une alimentation saine et de qualité, comme les supermarchés coopératifs et participatifs Vervîcoop et Coopéco qui offrent une gamme abordable de produits locaux, équitables et durables dans certaines régions éprouvant plus de difficultés sur le plan socioéconomique.
Une législation sur le devoir de vigilance des entreprises ?
Samuel Poos explique qu'il apparaît indispensable de légiférer. Plus de huit citoyens sur dix sont plutôt ou tout à fait en faveur d’une législation sur le devoir de vigilance des entreprises, qu’elle concerne la violation des droits humains dans le monde (travail forcé, travail illégal d’enfants…) ou la prévention des dommages environnementaux. Cette tendance se retrouve auprès de l’ensemble des Belges. La législation sur le devoir de vigilance des entreprises doit par contre se faire directement au niveau européen pour plus de la moitié des Belges (59%).
Actuellement des projets de lois sont en cours tant au niveau du parlement fédéral que de l'Union européenne. Certains pays ont déjà pris des mesures, explique Samuel Poos. Les plus jeunes et les Bruxellois sont significativement plus nombreux à considérer que la législation doit se faire au niveau national (pour plus de détails lire les résultats de l'enquête de Enabel sur le devoir de vigilance)
Dix jours pour devenir des consommateurs plus responsables
En attendant pour mieux s'approprier le concept, la 20e édition de la Semaine du commerce équitable propose un éventail d’activités aux quatre coins de la Belgique, du 6 au 16 octobre. "Les évènements soutenus par Enabel, l’Agence belge de développement, démontrent plus que jamais la diversité du Commerce équitable et son caractère inclusif. Et c’est là précisément l’objectif de la campagne: faire connaître le commerce équitable sous toutes ses formes au plus grand nombre, pour que nous soyons nombreux à utiliser notre pouvoir de consommateur et consommatrice pour faire bouger les choses", confie Jean Van Wetter, directeur général d’Enabel.
Un projet qui concerne toute la Belgique veut célébrer les actions (socialement) justes. Une manière de rendre la justice sociale, qui est au cœur du Fairtrade, plus tangible et visible. Pendant le mois d'octobre, et plus particulièrement pendant la semaine du commerce équitable (6-16 octobre), chacun est invité à donner une FAIR CARD à une personne, une organisation ou une initiative qui œuvre pour la justice sociale et qui mérite d'être mise en avant. Cette campagne est à relayer sur les médias sociaux en utilisant le hashtag #WeAreAllFairtraders. Pour plus de renseignements, sur cliquer ici
Parmi les événements organisés, citons le Département des Sciences sociales de la Haute Ecole en Hainaut qui propose un café pédagogique autour de la thématique de la mode équitable. Au programme ? Un défilé de mode et une exposition "La mode équitable et les excès de la fast fashion".
En Province de Namur, à Natoye, le Centre des Métiers d’Art “La Spirale” propose des expositions thématiques, des ateliers, jeux et projections de sensibilisation au commerce équitable à l’attention des petits et grands.
Le programme complet de cette 20e semaine du commerce équitable est disponible ici. Il y en a pour tous les goûts.
Nancy Goethals
Pour aller plus loin, le site Enabel propose des analyses et des études intéressantes sur le sujet du commerce équitable