
Au seuil des vacances, le 29 juin, Xavier Lacroix nous a quittés. Cet homme, plusieurs fois grand-père, était un penseur catholique de la famille et une référence dans le champ de la bioéthique. La période estivale étant celle de nombreux mariages, j’aime relire les notes de ma rencontre avec ce philosophe et théologien de Lyon.
Une construction commune
On se marie de moins en moins. L’institution matrimoniale est souvent oubliée. Tout est ramené au subjectif, au privé. Or, elle apporte de l’objectivité et fait entrer dans un cadre, qui est précisément celui de l’accueil des enfants. Se marier, ce n’est pas seulement se préparer à être un couple, insistait Xavier Lacroix, mais aussi à être parents ensemble. « Je voudrais un enfant de toi! » N’est-ce pas une belle manière de dire « je t’aime« ? Il y a en effet une profonde affinité entre l’amour et le vœu d’être fécond ensemble, estimait-il.
Un jour, un prêtre vit venir vers lui en vue du mariage, un couple peu loquace. Il en vint à la question des enfants, car le Code de droit canonique définit ce point comme une condition de validité du mariage. « Désirez-vous avoir des enfants? » Un blanc. Les tourtereaux se regardent: « C’est que… nous n’en avons jamais parlé! »
Trop souvent, on ne parle de la fécondité que comme d’un accident malvenu qui pourrait arriver à la sexualité. D’autre part, un certain romantisme réduit l’amour au sentiment. On en parle uniquement en termes d’émotion, d’affection, de passion; on oublie d’en parler en termes d’œuvre, de construction, de réalisation, de don.

Une alliance entre les sexes et les générations
Le mot « conjugalité » tend à remplacer celui de « mariage ». Or, ce dernier est par définition, universellement, la fondation d’une famille. Cette institution articule l’alliance entre les sexes et la succession des générations. Aujourd’hui, il est cependant courant de disjoindre conjugalité et parenté. L’amour devient une fin en soi, le couple n’est considéré qu’en termes de désir, de communication, de bien-être. C’est le couplisme.
La parenté désigne le fait d’être parents, au pluriel, père et mère ensemble, et qui pose nécessairement la question du lien entre eux. L’amour de chacun de ces deux parents ne peut idéalement s’exercer indépendamment de la relation qui le lie à l’autre parent. Par contre, nul n’est parent tout seul. La parentalité peut s’exercer individuellement. Dans l’union libre, l’enfant est fils ou fille de deux célibataires qui n’ont pas scellé entre eux un pacte public et inconditionnel. Ce pourrait être source d’inquiétude, voire d’angoisse, pour lui.
Tournés vers l’avenir
A contre-courant de cette évolution, Xavier Lacroix plaidait pour une articulation: être conjoints et être parents s’enrichissent mutuellement et s’appellent l’une l’autre. C’est dans l’enfant que l’homme et la femme deviennent une seule chair et se tournent vers l’avenir, de génération en génération. « Pas plus qu’il n’est né de deux individus disjoints, l’enfant n’est élevé par un homme et une femme indépendamment du lien qui les rend pleinement père et mère. La différence entre la masculinité de son père et la féminité de sa mère est source de sens pour lui. » Il n’est en effet pas facile, pour un enfant de vivre seul avec sa mère ou son père.
Ce n’est cependant pas l’enfant qui fait la famille. Il n’est pas la raison d’être du lien entre ses parents. Il a besoin de pouvoir compter sur un lien antérieur, plus fondamental, leur lien d’alliance. Il ne reçoit pas seulement l’amour de chacun de ses parents en ligne directe, mais il reçoit le rayonnement de l’amour qui les relie. « Les joies et les peines liées à la parentalité tressent avec les joies et les peines liées à la conjugalité comme un entrelacs très subtil. » Selon les termes du père Caffarel, « s’aimer, c’est se donner l’un à l’autre, pour se donner ensemble ».
Bien sûr, l’histoire de chacun ne correspond pas toujours à cet idéal, et l’être humain a une capacité étonnante à rebondir. Mais, dans la mesure du possible, il faut mettre toutes les chances du côté de celui qui va naître et qui sera appelé à continuer la merveilleuse aventure de la vie et de l’amour.