L’année scolaire s’achève doucement. Mes grands élèves de rhéto présentent leurs examens, l’esprit déjà tourné vers les études supérieures qu’ils entameront en septembre. Ces derniers jours, j’ai balisé avec eux un espace de parole afin qu’ils puissent partager librement leur état d’esprit ou leurs attentes pour demain. C’est un impressionnant exercice de maturité de leur part. Les ados ont tant de belles choses à dire! Certains sont toutefois gagnés par le stress à l’idée de franchir ce nouveau cap. Il en ressort chez beaucoup une réelle volonté de donner un sens à leur vie. Ils se projettent dans l’avenir, parfois avec une émotion palpable.
Il est évidemment important de vouloir donner un sens à sa vie. Souvent, on cherche alors comment l’orienter par des accomplissements personnels et professionnels. Ce questionnement sur son propre chemin de vie peut cohabiter avec une quête plus métaphysique. On s’interroge alors sur le sens de la vie en général, c’est-à-dire sur l’origine, la nature et la finalité de l’existence humaine. Dans les deux cas, il serait tentant de penser qu’on résoudrait la question du sens par une sorte de quête intellectuelle. L’intelligence a son rôle, mais il faut être prudent. Ni le sens de la vie, ni l’orientation à donner à sa propre vie, ne peuvent se réduire à une opération spéculative. Philosophe en herbe ou pas, nul ne peut prétendre à une mainmise conceptuelle, et encore moins définitive, sur le sens de la vie. C’est là une tentation de jeunesse. D’ailleurs, plutôt que de vouloir à tout prix "donner" du sens à la vie, au risque de lui greffer artificiellement une signification extérieure à elle; il me semble qu’il importe davantage de "recevoir" subtilement ce sens de la vie elle-même. La vie s’éprouve de l’intérieur, à un niveau tellement profond qu’il échappe en grande partie à notre intelligence. On aimerait bien avoir une certaine maîtrise sur sa vie, mais la vie réclame que nous soyons davantage disposés à en accueillir humblement ses mystères.
C’est un changement de perspectives à opérer. Le sens se reçoit à mesure que la vie se révèle. La vie se révèle à mesure qu’elle se vit. On ne peut pas "savoir" sa vie, mais on peut apprendre à la "connaître." Quand on sait, on prétend pouvoir faire le tour d’une question. Mais le sens de la vie est autre chose qu’une réponse à une question. Connaître la vie, c’est dépasser la question de son sens pour en éprouver son essence. Connaître la vie… c’est la VIVRE! Cela ne l’épuise jamais à travers un sens à lui donner. Au contraire, c’est découvrir un dévoilement infini! C’est goûter à un inédit permanent! C’est parcourir une exploration sans fin! Il en va de la vie comme d’une respiration intime. Elle se reçoit et se communique tel un souffle que nul ne peut enfermer. Pleine et prodigieuse liberté, la vie s’offre à mesure que nous nous donnons à elle. De cette communion, de cette merveille à ne faire qu’une seule chair avec elle, nous devenons plus vivants! La vie nous féconde pour que nous soyons féconds.
Finalement, le sens de la vie n’émerge-t-il pas du bouillonnement vivant de notre âme? Une âme pleinement enracinée dans notre ici-bas, spirituellement et corporellement, mais dont la force vitale s’insuffle dans un au-delà qui nous dépasse. Vivre, c’est peut-être bien nous laisser gagner par l’Eternité. Cela ne rend pas la vie plus simple, mais c’est tellement apaisant. N’ayons aucun doute sur la profusion de lumière qui habite en chacun d’entre nous. Vivre, c’est peut-être bien apprendre à la laisser irradier. N’ayons aucun doute sur le brasier d’amour inconditionnel qui couve sous nos peurs et nos imperfections. Vivre, c’est peut-être bien laisser le feu divin se partager aux braises de notre humanité. Parce qu’il y a tant d’ardeur et de douceur à partager, n’ayons pas peur de dire aux jeunes: Croyez en vos rêves! Travaillez dur! Développez vos talents! Mais, en tout cela, une seule question est essentielle: Etes-vous prêts à aimer plus que tout?
Sébastien Belleflamme
Enseignant et animateur en pastorale