L’adolescente se trouve face au micro de la journaliste qui réalise à Aulnay-sous-Bois (nord-est de Paris) un reportage consacré à la jeunesse des banlieues parisiennes. Elle demande à la jeune fille quel est son prénom. Et, à sa grande surprise, après un long moment de silence, celle-ci balbutie: "Heu… Hem… Heu…". Par trois fois, la journaliste refait la même demande. Trois fois, la même situation se reproduit. Se rendant compte d’une gêne importante, la femme de média, par expérience, n’insiste pas. Mais cette situation embarrassante l’a quand même fort intriguée. Car quoi de plus simple, normalement, que de dire son prénom ou, si l’on veut cacher son identité, d’en inventer un, ou encore, comme le font pas mal de jeunes actuellement sur les réseaux sociaux de se faire connaître à travers un pseudo (Mc Fly 25, Confi, Natanpas 96…).
Rabaissée depuis l’enfance
L’attitude faite de discrétion et de respect permet à la journaliste de ne pas rompre le lien avec cette étrange fille. Bien au contraire, au gré de plusieurs rencontres, la confiance s’installe. Et bientôt la jeune fille commence à se confier. "Quand j’étais petite, à l’école, la maîtresse s’acharnait sur moi! C’est pourquoi, rapidement, j’ai perdu toute confiance en moi.
Je n’avais plus confiance en personne. Les rares fois où il était à la maison, mon père me battait. Sans doute à cause de l’alcool et du chômage. Ma mère n’a presque jamais osé intervenir. Je la comprends. Mon institutrice m’humiliait devant les autres enfants. Elle me disait bonne à rien. Et elle devait sans doute avoir raison. Ma tête était vide. Je n’avais vraiment pas une bonne image de moi. Je ne sais pas parler avec d’autres. Depuis que je suis petite, quand on me demande comment je m’appelle, j’ai comme un blocage. Vous comprenez, maintenant? Je ne vous connaissais pas encore."
Résurrection
Et elle poursuit, se confiant à cette journaliste, cette adulte qui prend son temps avec elle, qui ne la bouscule et ne la juge pas: "Au début, maintenant que je suis au collège, c’était la même chose. J’avais l’impression que je n’avais pas de place. Mais ça commence à aller un tout petit peu mieux. Ici, il y a des garçons et des filles qui ont vécu la même chose que moi. On se comprend. Pour la première fois, je commence à avoir des amis. Je sens que je deviens un peu plus optimiste. Je crois que je vais m’en sortir. Depuis que mon père est parti, ma mère est plus gentille avec moi. C’est comme si j’avais oublié tout ce que j’ai vécu quand j’étais petite."
Quel sera l’avenir de cette fille? Elle a beaucoup souffert dans son enfance. Malgré son envie d’oublier tout cela, elle en sera marquée à vie. Et pourtant, elle renaît. Des relations s’ouvrent à elle, avec sa maman, avec des copines, avec certain(e)s de ses profs qui comprennent les jeunes et les accompagnent sur les chemins escarpés de la reconstruction de leur vie.
Une des dernières paroles qu’elle a adressée à la journaliste, plutôt une question, était: "Est-ce que je pourrai encore faire confiance?" Sur le chemin de la résurrection de chacun de ceux qui ont été humiliés, brisés dans leur enfance, la confiance est vraiment essentielle. Elle est faite d’écoute, d’accueil, de respect, d’accompagnement et d’empathie. A la suite du Christ, un pédagogue comme don Bosco avait magnifiquement compris cela. Lui et ses successeurs, comme bien d’autres adultes (enseignants et parents), vraiment éducateurs, relèvent les enfants et ouvrent leurs tombeaux.
Luc Aerens
Diacre, Comédien et pédagogue