Le grand théologien suisse contestataire Hans Küng est décédé le 6 avril 2021 à l’âge de 93 ans dans sa ville d’adoption de Tübingen, en Allemagne. Sa renommé dépassait largement le champ de la théologie.
Né en 1928 à Sursee dans le canton de Lucerne en Suisse, Hans Küng est l’un des grands théologiens du XXème siècle. Son travail rayonne bien au-delà du monde universitaire. Il a ouvert de nouvelles portes pour l’œcuménisme des églises chrétiennes et a porté le dialogue entre les religions du monde. Professeur renommé, expert au concile Vatican II, auteur prolixe, conférencier prompt à la controverse, Hans Küng aura été un combattant tout au long de sa vie. Le fait que le pape Jean Paul II lui ait retiré sa licence d’enseignement ecclésiastique en 1979 aura finalement fait plus de tort à la crédibilité de l’autorité d’enseignement de l’Église qu’au théologien rebelle.
Contre l’infaillibilité
Ses recherches sur les structures de l’Église, en particulier l’infaillibilité du magistère pontifical, ont fait grand bruit à l’époque. Dès ces années de jeunesse à Lucerne pendant la deuxième guerre mondiale, Hans Küng a fait preuve d’une conscience politique alerte. La ténacité avec laquelle il s’est engagé dans la lutte contre un système clérical à grande échelle peut s’expliquer par une volonté de liberté développée très jeune, qu’aucune discipline catholique d’obéissance ne peut exorciser. Plus persévérant que les autres, souvent offensif, il fut pourtant toujours porté au dialogue et à la conciliation. À l’âge de vingt ans, Hans Küng décide d’étudier la philosophie et la théologie à l’université jésuite Grégorienne de Rome. Tout aussi important que cette forge de cadres cléricaux, son doctorat à la Sorbonne à Paris lui apporte une grande ouverture. Il choisit un thème central de la Réforme et prouve que la doctrine de la justification de Karl Barth – un des ‘pères’ de la théologie protestante – peut être réconciliée avec l’enseignement du Concile de Trente.
Pionnier de l’œcuménisme
Rome finira par suivre sa démarche presque 40 ans plus tard en 1999, en publiant la « Déclaration commune sur la doctrine de la justification » avec l’Église luthérienne.
Doctorat en poche Hans Küng revient à Lucerne. Un nouveau défi se présente bientôt à lui. Jean XXIII a convoqué le deuxième concile du Vatican. Avant même son ouverture, Küng a écrit Concile et réunion en 1960, un best-seller. Jean XXIII le nomme conseiller du Concile en 1961. Il saisit l’occasion, et devient un théologien réformateur de renommée internationale qui fait bouger les choses entre autres à propos de la liberté religieuse et des juifs. Nommé professeur de théologie fondamentale à Tübingen, en Allemagne, il écrit plusieurs ouvrages sur l’Église et ses structures, et en 1970 Infaillible?. S’opposant notamment à l’encyclique Humanae vitae de Paul VI sur la morale sexuelle catholique, le livre devient une pomme de discorde.
Sanctionné par Rome, il refuse de se taire
En 1979, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ouvre une procédure contre Hans Küng. Il refuse de participer à un procès sans accès aux dossiers et sans avocat de son choix. La préface de Küng au livre du théologien saint-gallois August B. Hasler Wie der Papst unfehlbar wurde (Comment le pape est devenu infaillible) (1979) fournit l’occasion à la CDF pour le retrait de sa licence d’enseignement ecclésiastique (mission canonica). Mais cet homme ne pouvait être réduit au silence. Il donne des conférences sur tous les continents et répond aux questions dans les studios de radio et de télévision. Ses livres – tels que Être chrétien, Dieu existe-t-il ?, La vie éternelle – sont devenus des best-sellers dans de nombreuses langues.
L’université de Tübingen a ensuite créé une chaire indépendante pour Hans Küng et l’Institut de recherche œcuménique. Une nouvelle aventure de recherche a commencé. Le critique du pape s’est transformé en un « penseur universel ». L’Oikumenē, toute la terre habitée, devient son sujet. Existe-t-il des commandements de base communs aux religions, malgré toutes leurs différences ? Les agnostiques et les athées peuvent-ils partager les croyances éthiques des personnes religieuses ? Comment surmonter les fissures culturelles et religieuses de l’humanité ? Ce fut le point de départ de son Projet d’éthique globale (Weltethos) (1990). Traduit en dix-sept langues, le livre a fait sensation. Ont suivi des ouvrages de base sur le judaïsme (1991), le christianisme (1994), l’islam (2004) et la « paix mondiale par la paix religieuse » (1993). En 1993, Küng rédige la Déclaration sur l’éthique mondiale pour le Parlement des religions du monde à Chicago. En 2001, il s’adresse à l’Assemblée générale des Nations Unies et, en 2009, il coécrit le Manifeste pour une éthique mondiale des affaires.
Hans Küng a provoqué un dernier tollé en 2014 avec son livre Mourir heureux ?, dans lequel il affirme qu’une mort d’un croyant en Dieu peut aussi être autodéterminée se prononçant en faveur du suicide assisté.
Depuis l’annonce de son décès, les hommages se multiplient notamment en Suisse et au sein du diocèse de Bâle, où il avait été ordonné prêtre en 1954.
cath.ch/kath.ch/mp