La visite du pape François en Irak se déroulera du 5 au 8 mars, après 15 mois sans déplacement à l’étranger. Elle sera largement inspirée par le thème de la fraternité humaine, dans la dynamique de la dernière encyclique « Fratelli Tutti ». Cette visite apostolique est exemplaire à plusieurs titres. Décryptage.
Pour la première fois dans l’histoire, un pape se rend en Irak. Le pays, qui a donné naissance à Abraham et dans lequel réside l’une des plus anciennes communautés chrétiennes, a encore des blessures de guerre très visibles. Il est également contraint de faire face aux fléaux de la pauvreté, du terrorisme et maintenant du Covid-19. Dans ce pays meurtri, seuls 3,5% de la population a plus de 65 ans, tandis que les jeunes de moins de 14 ans en représentent 40%. Les chrétiens sont estimés à 300.000, voire 400.000 personnes, alors qu’en 2003 ils étaient près de 1.400.000 personnes.
Durant ces quatre jours au programme chargé, le Saint-Père se déplacera de Bagdad à Erbil au Kurdistan irakien, en passant par Ur, la ville d’Abraham mais aussi la plaine de Ninive dans le nord du pays, à Mossoul et Qaraqosh, où vivent d’importantes communautés chrétiennes.
Une promesse
Les chrétiens irakiens attendent le pape depuis 22 ans. C’est en 1999 que saint Jean-Paul II avait prévu un pèlerinage bref mais significatif à Ur des Chaldéens, première étape du voyage jubilaire vers les lieux du Salut. Il voulait partir d’Abraham, du père commun reconnu par les juifs, les chrétiens et les musulmans. Beaucoup avaient alors déconseillé ce périple au pontife, estimant que ce voyage qui risquait de renforcer Saddam Hussein, encore au pouvoir après la première guerre du Golfe. Le voyage raté de Jean-Paul II est resté une plaie ouverte.
Contrer la guerre
Le pape Jean-Paul II s’est élevé contre la deuxième expédition militaire occidentale en Irak, cette guerre-éclair de 2003 qui renversa le gouvernement de Saddam Hussein. Lors de l’Angélus du 16 mars 2003, le pape avait rappelé aux pays du Conseil de sécurité : « le recours à la force représente le dernier recours, après avoir épuisé toute autre solution pacifique, selon les principes bien connus de la charte des Nations unies elle-même ». Puis il avait livré ce plaidoyer : « J’appartiens à cette génération qui a vécu la Seconde Guerre mondiale et qui a survécu. J’ai le devoir de dire à tous les jeunes, à ceux qui sont plus jeunes que moi, qui n’ont pas fait cette expérience : ‘Plus jamais la guerre’, comme l’a dit Paul VI lors de sa première visite aux Nations unies. Nous devons faire tout ce qui est possible. » Ces mots sont proches de ceux imprimés récemment dans l’encyclique « Fratelli Tutti » : « La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal. »
Œuvrer à la paix
Dans une terre de première évangélisation, dont l’ancienne Eglise a des origines qui remontent à la prédication apostolique, les chrétiens attendent aujourd’hui la visite de François comme une bouffée d’air frais. Depuis quelque temps, le pape avait annoncé sa volonté d’aller en Irak pour les réconforter, suivant la seule « géopolitique » qui l’émeut : manifester sa proximité avec ceux qui souffrent et favoriser, par sa présence, les processus de réconciliation, de reconstruction et de paix.
Selon le dominicain Olivier Poquillon, la visite papale suscite un très grand engouement dans toutes les communautés, qu’elles soient chaldéenne, syriaque, arménienne ou latine. « En Orient, lorsque l’on veut honorer quelqu’un on ne l’invite pas chez soi, on lui rend visite. Le pape, donc le chef de l’Église catholique, se rend auprès d’un parent souffrant. Cette visite à Mossoul sera une visite de compassion, de prière, non pas avec un discours politique mais un moment de prière pour les victimes, dans un cadre où aujourd’hui chrétiens et musulmans essaient de travailler ensemble à la reconstruction de trois édifices majeurs de la vieille ville : la grande mosquée, la cathédrale Al-Tahira et le couvent des dominicains. » Contrairement à des idées reçues, tous les jeunes n’aspirent pas à venir en Europe… « Aujourd’hui, tout le monde est sur les réseaux sociaux donc les références changent. L’idéal pour les jeunes Irakiens est peut-être davantage de vivre comme dans les monarchies du Golfe que de vivre comme en Europe. Leurs aspirations ne sont pas forcément les mêmes. (…) Ce qui me semble important n’est pas de savoir s’ils veulent partir ou rester. Ils sont comme tous les Irakiens, s’ils ont des perspectives économiques et la possibilité de jouer un rôle dans la société, ils resteront, et s’ils n’en trouvent pas, ils chercheront à émigrer. »
Le dialogue interreligieux
« Le dialogue interreligieux peut être au niveau politique, au niveau théologique, mais il se situe d’abord au niveau de la fraternité humaine« , estime le frère Poquillon. Durant ces quatre jours intenses, le pape aura l’occasion de rencontrer l’Eglise locale et de participer à une rencontre interreligieuse à Ur, la ville d’Abraham. C’est le verset « Vous êtes tous frères » (Mt 23:8) qui servira de fils conducteur à ces journées irakiennes. Le Saint-Père se rend en effet dans un pays profondément divisé entre chiites, sunnites, kurdes, et entre chiites eux-mêmes par les pro-iraniens, les nationalistes, les libéraux, ou entre sunnites. La restauration dialogue et de la confiance entre les différentes communautés s’y avère prioritaire.
Un caractère exemplaire
Le cardinal Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation des Églises orientales, souligne que « même dans cette situation difficile, de terrible souffrance pour les chrétiens, ils sont restés fidèles à l’Évangile, au Christ. Voilà le témoignage que les chrétiens d’Irak offriront au monde entier, au monde occidental qui vit avec d’autres préoccupations et qui quelquefois oublie que nos frères subissent ces souffrances dans leur vie ». Cette visite sera l’occasion de mettre publiquement en exergue l’implication des chrétiens présents sur place, qui s’investissent pour le bien commun et la relève d’une région marquée par les conflits. « Tout ce que fait l’Église locale est dans cette perspective de construction du pays », souligne encore le cardinal Sandri.
À l’issue de l’audience générale du 3 mars, le pape François s’est adressé aux fidèles : « Je vous demande d’accompagner de vos prières ce voyage apostolique, afin qu’il se déroule de la meilleure façon possible et porte les fruits espérés ». Et le lendemain, veille de son départ, il s’est directement adressé aux chrétiens d’Irak dans un message-vidéo.
A. T. avec Vatican News