En ce début d’année, l’heure est au bilan dans tous les domaines. Les institutions culturelles n’échappent pas au règne des calculatrices! Petit tour d’horizon à Bruxelles et en Wallonie.
« Cette Deuxième Vague apporte son lot de nouvelles tragédies: on confine, on ferme, on isole, on enferme. Qui? Les citoyens, les malades, les idées, les représentations, les rires et les larmes. Plus qu’un simple enfermement, c’est une paralysie de la circulation dont il s’agit. La photographie, Youtube, Instagram et quelques films viendront montrer le vide (le vide des villes, des rues, des cieux, le vide sonore) », écrivait Pierre Bernard le 27 octobre dernier, sur le site du « Théâtre Poème ». Depuis, Jacques Sojcher, le président du conseil d’administration, a annoncé, par le biais du quotidien « Le Soir », la fermeture de la salle de spectacles installée à Saint-Gilles. Emblème d’une époque, cette enseigne littéraire avait connu des beaux jours en près de 50 ans de programmation littéraire. Autre disparition annoncée en ce début d’année avec le mythique « Cercle des voyageurs », en aveu de faillite. Les fermetures imposées et successives ont eu raison du restaurant dédié aux âmes des explorateurs, avec des livres disposés dans toutes les pièces de l’établissement.
L’esprit d’une époque
« Cette crise met en lumière les valeurs de la société », estime Benoît Raoult, directeur d’Ecrin, le centre culturel d’Eghezée. « La priorité est donnée aux soldes plutôt qu’aux salles de spectacle. La culture n’apparaît jamais comme une priorité. Les créateurs ont d’ailleurs des emplois précaires depuis des années. » Parmi les personnes impliquées dans les centres culturels, « un vent de rébellion souffle ». Certains seraient tentés d’aller au Conseil d’Etat, pour obtenir, eux aussi, l’autorisation de remplir les salles. Mais 15 personnes suffiraient-elles à couvrir les cachets des artistes? « C’est cher la place et dégager beaucoup d’énergie pour peu d’acquis! », souligne celui qui est aussi président d’ASSPROPRO, l’Association des Programmateurs Professionnels. « Les centres culturels ont l’habitude de composer avec les représentants politiques et associatifs. Ils ont peu d’emprise, si ce n’est qu’ils sont nombreux. Ils sont dès lors plus dans la négociation que dans le conflit. » Si ces mois ont été utilisés pour rénover l’installation des bâtiments, en assurant leur numérisation, des initiatives originales ont aussi vu le jour, comme une exposition d’affiches déployées sur les vitres du centre culturel ou une autre de photos sur la baie de la salle de spectacle, ainsi qu’une actualisation des fiches de balade dans les villages de l’entité. « Ce que nous risquons, c’est que les gens ne modifient leurs habitudes à long terme et deviennent plus casaniers… » Une crainte heureusement contrebalancée par l’engouement qui a prévalu lors de la reprise de la saison entre mi-septembre et mi-octobre. La situation s’avère toutefois plus compliquée pour les Centres d’expression et de créativité (CEC), dont la trésorerie souffre cruellement de l’absence de rentrées financières.
« Nous réinventer »
A la suite de cette « annus horribilis » pour le secteur culturel, les musées affichent une chute drastique du nombre de leurs visiteurs. Ainsi, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBA) ont-ils connu une disparition des trois quarts de l’année précédente. Qui dit moins de visiteurs, dit aussi, forcément, une diminution des achats dans les boutiques annexes, sans oublier l’absence de location pour des événements privés. En termes de gestion du personnel, « Il n’y a pas eu de licenciement massif, mais les contrats CDD n’ont pas été renouvelés et les départs à la pension n’ont pas été remplacés. Le Musée a ainsi perdu quinze membres du personnel en un an, principalement parmi les effectifs de gardiennage et le front office. Le manque de gardiens du patrimoine, combiné aux mesures anti-Covid très contraignantes, ont conduit à limiter l’accès à certaines collections du musée », apprend-on du côté des MRBA. Le directeur général de l’institution, Michel Draguet nuance la portée catastrophique des événements en cours. « En ruinant l’économie, la crise de la Covid met en péril les institutions culturelles dans leur fonctionnement même. Elle agit aussi comme un formidable accélérateur d’une évolution qui nous oblige à nous réinventer dans l’instant. Elle constitue un enjeu de société majeur en révélant la place qu’y occupe la culture: un objet de première nécessité tant pour la collectivité que pour l’individu livré à lui-même. »
Des réalisations originales
La créativité, précisément, est le fer de lance d’initiatives qui permettent non seulement la survie des lieux de culture, mais leur offrent aussi de nouvelles perspectives. Cap sur le musée Rops à Namur, qui a mis au point deux activités inédites dès le premier confinement. Ainsi des visites déjantées ont-elles été organisées à la mi-avril avec la compagnie des Bonimenteurs. Un mois plus tard, le musée Rops invitait le mentaliste Benjamin Ghislain à interagir sur une série de Rops, les Dames aux pantins. Ces deux semaines d’animation particulière ont réuni des participants en ligne de Wallonie et de Bruxelles, mais aussi de la francophonie. Mieux encore, elles ont permis à des nouveaux visiteurs de découvrir la collection, eux qui n’avaient jamais poussé les portes de l’institution. « Pendant les vacances, nous avons eu un nouveau public, qui ne venait pas au musée », se réjouit en outre Valérie Minten, l’attachée de presse. En effet, à défaut de visiter les musées à l’étranger, de nombreux Belges ont découvert ceux à proximité de chez eux!
Par ailleurs, durant l’été, cinq musées wallons se sont associés le temps d’une semaine de stage en mode virtuel. Le musée de la Photographie à Charleroi, la Boverie à Liège, le musée royal de Mariemont à Morlanwelz, le musée L à Louvain-la-Neuve et le musée Félicien Rops à Namur ont conjugué leurs forces et proposé un parcours artistique commun. L’avantage était évident pour les institutions participantes qui s’engageaient à animer avec leur collection une seule des cinq journées programmées. Et l’expérience s’est avérée concluante, au point qu’elle devrait être proposée prochainement à de nouveaux groupes.
Angélique TASIAUX