
Pope Francis stands next to the Grand Imam of al-Azhar Sheikh Ahmed al-Tayeb during a visit at Sheikh Zayed Grand Mosque in Abu Dhabi on February 4, 2019. He met the Muslim Council of Elders. It is the first ever papal visit to the Arabian Peninsula, birthplace of Islam, where he will meet leading Muslim clerics and hold an open-air mass for some 135,000 Catholics. Photo by ABACAPRESS.COM
Les récents attentats Islamistes, en France et en Autriche, menacent une nouvelle fois d’attiser la peur et la division dans nos sociétés européennes. Dans ce contexte où la haine risque de l’emporter sur la fraternité, le dialogue interreligieux s’avère un moyen privilégié pour construire la paix entre communautés. Ce dialogue s’enracine dans le cœur même de l’Evangile.
A chaque attentat terroriste commis sur le sol européen par des djihadistes, c’est le « vivre-ensemble » entre communautés religieuses et « convictionnelles » qui se trouve ébranlé, mis en danger. Redisons-le: de tels actes, qui s’en prennent à des victimes innoncentes et sans défense, sont abjects, et doivent être condamnés de manière absolue, sans aucun début de justification possible. Et avec le pape François, redisons que toute violence commise au nom de Dieu est un blasphème. Ce à quoi nous ajoutons: un blasphème bien plus grave que n’importe quelle carricature, aussi offensante et blessante puisse-t-elle être.
Derrière chaque attentat islamiste, il y a une stratégie: semer la haine et la violence entre communautés, dans l’espoir cynique qu’on s’en prenne aux fidèles musulmans en Occident. Pour répondre à cette stratégie mortifère, il faut en développer une autre: celle de l’amour, du respect mutuel de ce qu’est l’autre, du pardon. Naïveté? Nous pensons au contraire qu’il s’agit de la réponse la plus lucide et la plus courageuse que l‘on puisse apporter. Il s’agit ni plus ni moins de la réponse de l’Evangile aux forces de mort présentes dans le monde qui tendent à précipiter l’humanité dans l’abîme.
La recherche de la paix
Tel est peut-être le sens premier et le plus important du dialogue interreligieux, dont les chrétiens sont parmi les principaux artisans aujourd’hui, partout dans le monde: le dialogue est une expression privilégiée de l’amour qui trouve sa Source en Dieu, Père de tous les humains, en qui nous sommes tous sœurs et frères. Cet amour, nous sommes appelés à le vivre de manière inconditionnelle, à l’image du Christ qui aima les siens « jusqu’à l’extrême », jusqu’à donner sa vie pour eux (cf Jn 13,1). Nous sommes, bien sûr, souvent très loin de cette « inconditionnalité » de l’amour, mais le dialogue, lorsqu’il cherche la paix, en est une manifestation forte, qui nous permet de commencer à le vivre concrètement.
Comme l’indique l’encyclique Fratelli tutti du pape François, citant les évêques d’Inde, « l’objectif du dialogue est d’établir l’amitié, la paix, l’harmonie et de partager des valeurs ainsi que des expériences morales et spirituelles dans un esprit de vérité et d’amour »*. Le dialogue interreligieux cherche la paix. Un dialogue dans cet esprit commence presque toujours par une démarche d’une personne vers une autre, d’un groupe vers un autre. On va vers l’autre, on s’adresse à lui. On fait le premier pas, en espérant que l’autre fasse le deuxième. Parfois, il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Certes, il n’y a pas de dialogue possible si l’autre ne répond pas, mais il est important de persévérer dans l’ouverture de principe à l’autre. C’est ce que Dieu fait avec nous, qui nous cherche sans cesse, sans toujours nous trouver.
Cette ouverture à l’autre, dans le plein respect de ce qu’il est, de ses convictions, est déjà une évangélisation, car elle témoigne de l’amour du Christ pour telle personne ou telle communauté autrement croyante que nous – ou non croyante. Notre attitude de respect est déjà l’amour évangélique en acte, elle est déjà agapè.
Dialogue d’amitié, dialogue théologique
Quelles formes le dialogue interreligieux, s’il devient effectif, peut-il prendre? On parle souvent aujourd’hui d’un dialogue dans l’action, d’un dialogue d’amitié, du dialogue théologique et spirituel. Tous aspects étroitement liés, qu’on ne saurait séparer les uns des autres. Le premier consiste essentiellement à faire des choses ensemble, à mener des actions de charité ou de compassion à l’égard de personnes dans le besoin, par exemple. On peut aussi militer ensemble pour la justice, pour le bien commun dans notre société. Donc pas seulement en faveur de nos communautés respectives, mais dans un esprit de fraternité humaine.
Cette dimension est sans doute trop peu présente dans le dialogue interreligieux aujourd’hui, chez nous. Souvent, cet aspect se limite à rassembler nos forces dans un intérêt commun, pour obtenir qu’on respecte les droits des différents cultes par exemple. De telles démarches communes sont importantes, mais pas suffisantes.
Autre aspect, le dialogue d’amitié, qui peut être vécu dans les occasions les plus diverses. Au moment de la fête de Noël, ou pendant le Ramadan, il n’est pas rare que des chrétiens et des musulmans se rassemblent, dans un esprit de partage et de convivialité. Ces moments sont essentiels, ils contribuent grandement à créer des liens humains, tout simplement. Il s’agit aussi d’amour en acte, et déjà également de dialogue spirituel et théologique.
Concernant ces deux derniers aspects, beaucoup de questions se posent encore aujourd’hui. Ne vaut-il pas mieux éviter le dialogue théologique, pour éviter les sujets qui fâchent, et privilégier les échanges amicaux?
Le dialogue inter-théologique, qui présuppose évidemment une certaine formation de part et d’autre, nous semble essentiel, en premier lieu parce qu’il nous permet d’être nous-même dans le dialogue. Celui-ci ne doit surtout pas impliquer de renoncer à notre identité, aussi ouverte soit-elle. Identité chrétienne forte et ouverture ne sont pas incompatibles. Au contraire, bien comprises, elles sont pratiquement une seule et même chose, puisque notre ouverture à la foi de l’autre, à ses convictions, à sa vision de Dieu et du monde, est dans l’ADN de notre identité chrétienne.
A travers le dialogue théologique, nous rendons compte de notre foi, du Dieu en lequel nous croyons. Un Dieu qui est Amour, qui veut entrer en relation avec l’humain. Un Dieu qui manifeste sa Toute-Puissance dans son extrême humilité, qui rejoint l’humanité jusqu’en son abîme de mort pour lui redonner Vie. En témoignant ainsi du Mystère pascal, nous ne nous fermons pas à ce que l’autre peut nous apporter. Dans la Déclaration Nostra Aetate – qui constitue, depuis 55 ans, la référence au sujet des « relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes » –, les Pères du concile Vatican II écrivent ceci: « L’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui […] reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (n°2).
Communion et pardon
Pour l’Eglise, Dieu est présent et agit en tout homme, a fortiori en toute religion ou spiritualité, dans ses valeurs spécifiques. C’est l’Esprit Saint qui agit en elles, et cet Esprit est toujours celui de Jésus-Christ. En accueillant les expériences d’autres religions, nous nous ouvrons à ce que Dieu veut nous dire à travers l’autre, nous pouvons l’intégrer et ainsi enrichir notre propre expérience spirituelle.
Et lorsque nous écoutons, dans le respect, ce que l’autre nous apprend de sa propre vision de Dieu, il se sent accueilli dans sa réalité profonde. Et Dieu sait… à quel point cette reconnaissance est importante dans ce qu’on appelle l’intégration des personnes dans notre société.
Ces différents aspects du dialogue sont immédiatement liés à sa dimension spirituelle. Accueillir l’autre dans sa foi, et être accueilli par l’autre dans sa foi, nous ouvre à une communion les uns avec les autres, communion à laquelle Dieu est intimement présent.
Un dernier aspect peut être souligné. La vision du dialogue que nous venons de décrire à grands traits peut décidément paraître très idéale. Certainement, les choses ne se passent pas toujours de cette façon. Mais lorsqu’on ne répond pas à notre main tendue, ou lorsqu’on y répond en nous frappant sur la joue, notre vocation de chrétiens est d’y faire face courageusement, et de ne pas nous départir de notre attitude évangélique. De ne pas répondre au mal par le mal. Certes, nous avons le droit et même le devoir de nous protéger et de protéger nos proches. Nous ne sommes pas tous appelés au martyre, qui est littéralement le « témoignage » que nous pouvons rendre à Dieu, jusqu’au sang. Tous n’iront pas jusqu’à cette forme extrême d’amour envers l’autre. Reste que nous sommes appelés à aimer ceux qui s’avèrent nos ennemis, à prier pour eux, à leur pardonner. Ce n’est pas de la faiblesse, mais au contraire l’expression d’une grande force intérieure. C’est cela, peut-être, « tendre l’autre joue ».
Christophe HERINCKX
*Conférence des Evêques Catholiques de l’Inde, Response of the Church in India to the present day challenges, 9 mars 2016*