Maman d’une petite fille porteuse d’une maladie génétique et décédée au huitième mois de grossesse, Aude Lombard raconte sa traversée spirituelle. Le livre s’intitule du prénom de sa fille: Juliette.
Le deuil périnatal est rarement abordé dans la société. Les parents qui ont connu une telle expérience savent la chape de plomb qui entoure souvent l’événement. Une forme de pudeur prévaut sur le ressenti fragile de ces moments endeuillés. Interview avec une mère de famille qui a trouvé des ressources dans sa foi.
Pendant la grossesse de Juliette, vous avez choisi de faire passer sa vie avant sa maladie. Etait-ce une évidence ?
Oui, c’était une évidence. Je suis devenue sa maman au moment où j’ai su que j’étais enceinte et je l’ai aimée inconditionnellement dès cet instant. Cette place qu’elle a pris dans mon cœur est restée intacte. Mon amour pour elle n’a pas diminué du fait du diagnostic. Elle était ma fille, quelles que soient ses limitations, il n’y avait aucun doute là-dessus. Je dirais même au contraire, réalisant que sa vie était limitée, cette urgence d’aimer s’est fait d’autant plus pressante. Il était essentiel d’aller à la rencontre de cette enfant sans perdre de temps.
Quel héritage Juliette a-t-elle laissé ?
L’invitation à accueillir la vie, aussi petite soit-elle. Je crois sincèrement qu’accueillir la vie, choisir de dire oui à Dieu avec confiance, ouvre un chemin de plénitude et d’amour véritable. Juliette nous a également affermi dans cette conviction que l’éternité existe et que nous sommes invités à vivre notre vie terrestre avec cette perspective d’éternité. Elle était porteuse d’une invitation à vivre la joie, quelles que soient les circonstances. Cette joie est ancrée dans le présent de Dieu.
En acceptant la réalité, avez-vous évité de manquer la rencontre ?
La clé a été de s’ancrer dans le présent et d’accueillir ce qui venait à chaque étape. Il a fallu que j’abandonne le sentiment de maîtriser les événements et accueillir ma vulnérabilité. Rien n’était plus maîtrisable, tout devenait dramatiquement incontrôlable et un avenir très sombre s’annonçait pour nous. Pourtant, la vie et la joie auxquelles nous aspirions ont à nouveau jailli. Juliette m’a amenée à l’accueillir pour ce qu’elle était, pour ce qu’elle portait en elle, en espérant le meilleur, tout en acceptant ce qui est. Pour moi, le miracle se trouve là.
En quoi la naissance de votre enfant symbolise-t-elle « la paix et la promesse d’un ailleurs », comme vous l’écrivez ?
Au moment de l’annonce de sa mort, nous avons ressenti de la tristesse évidemment – c’était comme un couperet – mais aussi de la joie. La joie de savoir qu’elle est auprès de Dieu et que nous la retrouverons un jour. Avoir cette joie n’enlève pas la peine de la perte, le manque de vivre avec elle, mais cela donne une perspective qui ne se limite pas à la situation présente. La peine passe, la joie demeure. L’image qui reste ancrée en moi, c’est celle douce et paisible d’une enfant endormie. J’ai ressenti grâce à ma fille que la mort n’est finalement pas si terrifiante.
Une grossesse difficile impose-t-elle une limite à notre maîtrise de la vie ?
Je ne pense pas que l’on devienne impuissant lorsque l’on vit une grossesse difficile. Il y a bien sûr des choses qui nous échappent, qui ne sont pas de notre contrôle. Mais nous sommes actifs dans le choix d’aimer et d’accueillir ce qui vient. La création de la vie nous échappe dès le commencement. C’est un mystère, un cadeau, un miracle. Au travers de Juliette, nous avons abordé cette notion de toute-puissance d’une façon renouvelée. C’est aussi le fait de s’en remettre à Celui qui est tout-puissant et d’accepter qu’il choisisse un chemin différent de ce à quoi nous aspirerions naturellement.
En quoi une personne endeuillée ressemble-t-elle, selon vous, à un funambule ?
Le deuil est un état émotionnel de grande vulnérabilité et les émotions qui s’y rattachent sont souvent imprévisibles. Pendant ce processus de deuil, je ne peux pas dire que j’étais triste tout le temps, c’était plutôt comme des petites bombes qui soudain m’explosaient dans le cœur, sans prévenir.
Avez-vous renoncé à vos attentes en « perdant » un enfant ?
Faire le deuil, c’est aussi faire le deuil de mes attentes, de ce que nous pouvions projeter, mon mari et moi, sur notre famille. Il faut recomposer notre vie différemment et tisser une histoire nouvelle. J’ai appris à placer ma confiance en Dieu prioritairement quand quelque chose se déroule différemment de ce que j’aurais pu imaginer.
Aimez-vous plus ou mieux la vie aujourd’hui ?
Je dirais mieux dans le sens où il m’est plus facile aujourd’hui de me concentrer sur ce qui me semble essentiel et de laisser de côté les contrariétés passagères. Je dirais mieux également du fait que beaucoup de craintes sont tombées avec Juliette. Affronter la mort en face m’a, par contraste, ancrée dans la vie. De ce fait, la vie vécue est plus qualitative.
Propos recueillis par Angélique TASIAUX
Aude Lombard, « Juliette. Une maman face au deuil périnatal ». Editions Olivétan, 2020, 128 pages.