Ah, le Black Friday… Nous « bassine-t-on » les oreilles avec cet événement. Une occasion unique de faire de bonnes affaires, faute de quoi nous serions des ignares, voire des idiots, les laissés-pour-compte de la consommation. Face à ce diktat, un collectif défend le Green Friday.
Originaire des pays anglo-saxons, la déferlante commerciale du Black Friday s’abat sur nos contrées comme un rouleau compresseur, a fortiori en cette période de confinement où de nombreuses enseignes sont porte close. Censé se dérouler le dernier vendredi du mois de novembre, ce « Vendredi Noir » a tendance à s’étendre à la semaine tout entière, avec des promotions alléchantes qui débutent le lundi précédent et se terminent le lundi suivant, baptisé lui le Cyber Monday. Le choix de ce mois de l’année n’est pas innocent, puisqu’il s’agit à la fois de la fin du mois, lorsque les gens reçoivent leur salaire augmenté d’une prime, et de la période qui précède les fêtes de fin d’année, dont la préparation implique souvent de nombreux achats en guise de cadeaux.
Directrice du service d’Etudes auprès de l’Union des Classes Moyennes (UCM), Clarisse Ramakers revient pour nous sur les enjeux particuliers de cette approche commerciale plus agressive. « De manière générale, on voit fleurir de plus en plus de journées de réduction qui émargent des plateformes de vente en ligne. Les commerces indépendants doivent suivre, sans en avoir nécessairement envie. Les grosses chaînes peuvent se permettre d’avoir des produits d’appel, tandis que les commerces ont moins la possibilité d’avoir des articles produits en masse, qui cassent les prix. » A côté des soldes, instaurés à dates fixes, la responsable du service d’Etudes souligne que bien d’autres initiatives existent, comme par exemple les ventes conjointes. Dès lors, « le message est brouillé pour le consommateur ».
Vers une autre offre commerciale
Cette année, second confinement oblige, « le fait d’être fermé rend la concurrence en ligne encore plus forte ». Toutefois, Clarisse Ramakers estime qu’un jour composé d’achats frénétiques n’induit pas, en tant que tel, la surconsommation, puisque le pouvoir d’achat des citoyens n’est pas expansif ni illimité, pour l’occasion. Un phénomène similaire a déjà été observé il y a quelques années, avec l’ouverture continue des commerces les dimanches durant le mois de décembre. Pour l’UCM, il s’agit davantage d’un « étalement » de la consommation, le montant global des dépenses restant le même. Par ailleurs, il est apparu à la fin du premier confinement que « les commerces n’ont commencé à refonctionner que quand l’Horeca a été rouvert. Les achats sont souvent des coups de cœur, pas nécessairement un besoin ». Les achats derrière un écran demeurent néanmoins « plus compulsifs que dans les magasins, où s’exerce davantage une réflexion à l’acte en tant que tel ». Ce deuxième confinement laissera, Clarisse Ramakers en est certaine, des « changements dans le comportement d’achat ». C’est ainsi que les commerces de proximité pourraient tirer leur épingle du jeu, en renforçant leur rôle de conseiller privilégié et en jouant la carte de l’exclusivité, avec une personnalisation maximale de l’accueil. En se rendant dans un commerce indépendant sur rendez-vous, « le client se sent dans une position valorisée ».
Une alternative aux achats compulsifs
De son côté « Test Achats », l’organisation de défense des intérêts des consommateurs, souligne : « Au sein de la société civile préoccupée par son empreinte écologique, on fait surtout le bilan environnemental désastreux de tels records d’achats en une seule journée. » En effet, le nombre de transactions opérées en une journée s’avère faramineux. Face au Black Friday a émergé, d’abord en France, une autre démarche, celle du Green Friday, portée par le collectif du même nom. Celui-ci entend résister à la course frénétique, en rappelant que « l’acte d’achat est un choix fort, avec des conséquences concrètes sur l’environnement ». Une telle vision n’entend pas culpabiliser les acheteurs, mais plutôt les sensibiliser et ensuite les inciter à adopter un type de consommation plus réfléchie. Le mouvement belge prône, pour sa part, « une philosophie pour une consommation responsable et raisonnée », rappelant qu’il existe « des alternatives durables, locales et solidaires ». Pour Clarisse Ramakers, « les gens qui ont l’habitude d’aller dans des commerces de proximité seront sensibles à ce genre de pratique. En revanche, l’appel en ligne restera très fort pour les gens qui ne se préoccupent pas des conditions de fabrication ».
La riposte verte
En Wallonie et à Bruxelles, la fédération Ressources assure la représentation des entreprises sociales et circulaires, qui ont pour spécificité d’opérer dans le secteur de la réutilisation des biens et des matières, en encourageant notamment la réparation et la réutilisation des objets. Pour la deuxième année consécutive, Ressources promeut le mouvement du Green Friday. En raison de la pandémie, les activités censées se dérouler le 27 novembre ont forcément dû être annulées. Arabelle Rase, responsable de la communication auprès de la fédération, estime toutefois que « le message est plus pertinent que jamais ». Les entreprises membres refusent d’entrer dans la guerre des prix, « puisque le juste prix est appliqué toute l’année ». Et d’épingler des attrapes trompeuses, comme l’augmentation préalable des prix barrés ou la production de collections spéciales à moindre coût et de qualité réduite. « Nous voudrions insister sur l’impact solidaire des achats, pour avoir des emplois durables et des conditions de travail respectueuses de l’humain. Nous entendons redonner du pouvoir au citoyen, par l’achat ou le non-achat. » Arabelle en est convaincue, « des alternatives plus durables à la consommation existent et elles prolongent la vie des objets ». Une profession qualifie même ceux qui œuvrent à valoriser les déchets, ce sont les valoristes ! Parmi la soixantaine de membres actifs en Wallonie et à Bruxelles, citons le Centre chrétien Emmanuel à Spa, Emmaüs à Ghlin, la Poudrière à Bruxelles, Mains tendues de Michel Coirin à Waterloo, Terre asbl au départ de la région liégeoise… A découvrir pour changer le monde à portée de main.
Angélique TASIAUX
Illustration : (c) CCO Pxhere