Ce 28 juillet, le père Joseph Moingt, un des grands théologiens actuels, est décédé à Paris, à l’âge de 104 ans. Jésuite très connu, à la pensée de plus en plus jeune et ouverte au fur et à mesure que l’âge avançait, il a consacré sa vie à l’écriture et à l’enseignement, à Fourvière (Lyon), puis à Paris, à l’Institut Catholique et au Centre Sèvres (faculté jésuite). Il a été longtemps responsable de la revue “Recherches de Science Religieuse”. Centenaire, il est resté très actif et a continué à publier. Sa pensée fera date. Il alliait une réflexion de haut niveau et un sens du concret de la vie de l’Église en ces temps déchristianisation. Il s’est fait le chantre de “l’humanisme évangélique”.
En 1968, le Joseph Moingt quittait Lyon où il enseignait les Pères de l’Église aux jeunes jésuites. Il était appelé à l’Institut catholique de Paris, pour donner cours à des laïcs. Il perçut alors clairement un hiatus entre lui et ses étudiants formés à la philosophie moderne. “Je me suis donc recyclé auprès des grands noms comme Merleau-Ponty, Levinas, Heidegger… Je sentais que les chrétiens ne se satisfaisaient plus de leur position de mineurs permanents dans l’Église, de cette séparation entre clergé et laïcat, des interventions de l’Église dans le domaine public. J’ai vu les départs de l’Église et la désaffection. Les églises se vidaient. Peut-être la religion était-elle en train de disparaître chez ceux qui n’avaient pas acquis une foi personnelle.” Cela ne le réjouissait pas, bien sûr.
Décomposition de l’Eglise et espérance
Le P. Moingt se reconnaissait peu optimiste quant à l’avenir de l’Église dans nos pays occidentaux. “En province, on sent le vide. Là où il y avait 18 paroisses, il n’y en parfois plus qu’une. On peut l’oublier en ville, car certaines églises sont encore pleines. Peut-être est-ce cependant la permanence d’une tradition bourgeoise.” Notre théologien est aussi inquiet pour l’avenir de l’humanité, face aux dégâts de l’économie néolibérale: « Comment peut-on devenir riches sinon aux dépens des pauvres? », s’interrogeait-il. Inquiet encore devant la perte du sens de Dieu: « Ce qui reste, c’est l’humanisme qui s’est échappé de l’Église. »
C’est paradoxalement dans la décomposition de l’Église, dans la croix du Christ que le jésuite devenu parisien mettait son espérance. Il voyait des communautés naître, mais hélas avec très peu de jeunes. “Bien sûr, ce qui sauve, c’est l’amour. Mais n’est-ce pas le rôle de l’Église d’impulser cet amour dans le monde? Le jour où il n’y aura plus de chrétiens qui croient en une transcendance, en un amour qui se livre, que restera-t-il?” Pour entretenir cette foi, la prière était, à ses yeux, essentielle. “On s’adresse à un interlocuteur invisible et silencieux pour savoir qui nous sommes et pour devenir ce que nous sentons devoir être. C’est là que nous ressuscitons comme croyant à chaque instant.”
Croire quand même
« Croire quand même” est le titre donné par l’éditeur à l’un de ses livres (2010). Sous le mot croire, il entendait la question des gens: rester ou non dans l’Église? La foi, rappelait-il, ne se renouvelle pas sans communication, sans rester autant que possible en communion les uns avec les autres, et si possible avec l’institution. Il faut puiser de l’Évangile dans une communauté rassemblée autour de lui. Il considérait comme important que l’Église renaisse pour assurer sa mission d’annonce de l’Évangile, ce qui est sa raison d’être. « Sous quelle forme, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que c’est par l’Église que j’ai reçu l’Évangile. Je crois au « sacerdoce apostolique », c’est par lui que se fait le lien avec l’événement fondamental de la résurrection de Jésus. » La foi en Jésus, en effet, “nous maintient sur les traces de Dieu”.
“Faites des groupes, des communautés; évitez les ruptures bruyantes qui n’aboutissent à rien, gardez même si possible des contacts avec l’institution et faites Église autrement, et puis, bon, vous verrez bien ce qui arrivera.” Tel était le message du P. Joseph Moingt. Il est plus interpellant que jamais.
Charles Delhez sj