Peut-on encore partir en vacances?


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Peut-on encore partir en vacances?
Par Vincent Delcorps
Publié le
6 min

Le coronavirus a fait voler en éclats les projets de nombreux vacanciers. Et si nous profitions de cette crise pour nous interroger sur le véritable sens des vacances? Voilà le défi que relève, dans sa dernière livraison, En Question, la revue trimestrielle du Centre Avec.

C’était au début de l’année. Vaguement déprimés par les ardeurs de l’hiver, les Belges commençaient à planifier leur été. A réserver vols et nuitées. La polémique est ancienne: vaut-il mieux être "early booking" ou "last minute"? Les études montrent que ceux qui réservent tôt n’ont pas toujours le meilleur prix. Mais ils ont la certitude d’avoir ce qu’ils veulent. Surtout, ils ont un objectif. Un but vers lequel tendre.
Début mars, on ne parle plus que du coronavirus. En Belgique, on croit encore qu’il s’agit d’un virus exotique, destiné à ne toucher que les pays sous-développés. Le 11, lorsqu’un premier décès est déclaré sur le territoire, on rigole moins. Mais on ne s’inquiète pas plus. Une semaine plus tard, le monde a changé: toute la population est confinée. S’ensuivent la fermeture des frontières, le report de l’Euro de foot et des Jeux Olympiques. Et soudain, cette question: pourrons-nous encore partir en vacances cet été?

Un secteur qui coûte et qui rapporte

Bien sûr, il est trop tôt pour s’interroger sur les effets durables que le coronavirus aura sur nos sociétés. En attendant, force est de constater que des lignes bougent. Se trouvent ainsi questionnés l’organisation des soins de santé, la place du travail dans nos vies ou le rapport à nos voisins. Et si nous prenions le temps de nous interroger aussi sur nos vacances? Pas seulement pour savoir si toutes les frontières seront ouvertes cet été. Mais pour imaginer ce que seraient des vacances justes. Respectueuses de tous et des ressources de la planète.
Car en la matière, l’heure est grave. A titre individuel, sans doute avons-nous déjà observé certains abus: ces serviettes de bain immaculées envoyées à la machine, ces sites patrimoniaux ravagés par des Occidentaux peu scrupuleux, ces mets succulents passés à la poubelle… Les chiffres sont révélateurs. Au fil des décennies, les gens ont été de plus en plus nombreux à partir, et à partir de plus en plus loin. En 2019, 1,5 milliard de touristes internationaux a été comptabilisé, soit 4% de plus qu’en 2018 qui était déjà… une année-record! Le tourisme est un acteur majeur de l’économie mondiale. Mais si le secteur rapporte, il coûte aussi très cher. En 2018, une étude a montré que la part du tourisme dans la production de gaz à effet de serre liée à l’activité humaine représenterait 8%. Les chercheurs ont aussi montré que les voyageurs les plus aisés – les plus dépensiers – laissaient la plus forte empreinte carbone derrière eux. Conclusion: ceux qui tirent la croissance économique du secteur sont aussi ceux qui polluent le plus.
Que faire? Ne pas culpabiliser. Mais prendre le temps de s’arrêter. Et se poser quelques questions (lire ci-dessous) avant la réservation d’un prochain séjour.

Vincent DELCORPS

 

"Peut-on encore partir en vacances?" Dossier de la revue En Question, été 2020. Pour les lecteurs de Dimanche: 5€ (au lieu de 7€). www.centreavec.be – info@centreavec.be - 02.738.08.28.

 

 

  1. Comment soutenir les populations locales?

Bien sûr, lorsqu’on prépare ses vacances, on pense d’abord à ses propres désirs. Et c’est bien normal! Mais nous risquons alors d’oublier que quand nous sommes partis, nous sommes accueillis! Par des employés – serveurs, chauffeurs, femmes de chambre, guides… Mais aussi, plus largement, par une population. Dans sa définition du tourisme durable, l’Organisation mondiale du tourisme prend en considération cette dimension sociale, encourageant le tourisme à répondre aux besoins "des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil".

Les défis sont nombreux. Sur le plan interpersonnel, sommes-nous toujours respectueux des personnes que l’on croise? Comment préserver les lieux qui sont les leurs? Et comment s’assurer que nos dépenses soutiennent la population locale plutôt qu’une multinationale sans visage? Lorsqu’il fait l’objet d’une stratégie claire, le tourisme peut avoir des retombées positives sur une économie locale. Mais ce n’est pas toujours le cas – surtout lorsque le niveau de corruption est important.

La réalité est donc complexe. Un exemple en témoigne: le développement des offres Airbnb. Ce modèle, qui permet à des propriétaires de louer leur maison le temps de quelques nuits, semble encourager une certaine convivialité. Il permet aussi aux propriétaires d’arrondir leurs fins de mois… En même temps, le développement d’Airbnb provoque, dans les centres-villes, des nuisances dont pâtiront les locaux. De même, il participe à une raréfaction du marché locatif et à une augmentation des loyers…

  1. Peut-on encore prendre l’avion?

Voilà bien une question que l’on ne se serait pas posée il y a quelques années! Mais les étés torrides et les marches pour le climat sont passés par là. Et l’avion est devenu l’incarnation de bien des maux. Alors, peut-on encore décoller? La réponse est individuelle, bien sûr. Et le discernement n’est pas évident. "En 2020, quelle que soit la manière dont vous tournez les chiffres, il reste plus économique de se déplacer en avion plutôt qu’en train, en bus ou en voiture", observe Gwenaël Laurent, philosophe et doctorant à l’UCLouvain. Le chercheur relève en outre qu’en l’absence de nécessaires politiques, un changement des attitudes individuelles ne suffira pas à diminuer les émissions de CO² dans le secteur aérien. "Il n’en est pas moins salutaire, du point de vue de l’éthique individuelle, de prendre un certain nombre de résolutions éclairées", ponctue le philosophe.

A chaque personne qui songe prendre l’avion, Gwenaël Laurent propose quatre questions. Existe-t-il une alternative? L’objet du voyage justifie-t-il le déplacement? "Bien souvent, nous sommes pris au piège d’un mythe qui associe étroitement l’exotisme au lointain et le plaisir à la consommation rapide", constate Gwenaël Laurent. Troisième question: ai-je déjà pris l’avion au cours des dernières années? Et enfin, indépendamment de l’avion, par quels engagements – individuels ou collectifs – puis je soutenir une transition écologique?

  1. Quel est le sens profond des vacances?

Nous interroger sur nos futures vacances nous amène à questionner le sens véritable de celles-ci – et, plus largement, celui des loisirs. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le philosophe allemand Joseph Pieper s’est emparé de la question. L’homme dénonce alors une mécompréhension profonde. "Pieper veut montrer que la culture du XXe siècle a perdu la valeur authentique du loisir", décrypte Laura Rizzerio, professeur de philosophie à l’UNamur. "Soit elle l’identifie négativement à ce qui peut distraire des tâches sérieuses de la vie, soit elle le représente comme un temps 'vide' qui permet de recharger les batteries avant d’ensuite reprendre plus efficacement le travail. Dans les deux cas, elle passe à côté du véritable sens."

En réalité, l’on ne peut penser aux vacances sans réfléchir au travail. "Dans une société où l'efficacité et la performance sont les critères pour déterminer la valeur d'un individu, assez naturellement le travail devient l’activité principale d’une vie tandis que le loisir n’apparaît plus que comme une 'parenthèse'", ajoute Laura Rizzerio. L’invitation est claire: apprenons à valoriser loisirs et vacances. Cultivons ces temps de contemplation, ces moments où nous nous mettons à l’écoute de la réalité. Valorisons ces espaces qui échappent au culte de la performance. Durant cet été. Et bien au-delà.

 

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