
Anthony Corcoran pendant la messe
Dans ce petit pays de l’Asie centrale de six millions d’habitants à 90% musulmans, une toute petite communauté catholique est installée depuis cinquante ans. Alors qu’ils doivent faire face à une indifférence générale, les catholiques du Kirghizistan et le clergé ont inauguré une nouvelle église. La première en un demi-siècle.
C’est une église perdue dans le nord de la capitale, Bichkek, loin des grandes artères ombragées et des parcs où les statues de leaders communistes trônent toujours sur d’imposants socles. C’est une église, battue par les nuages de poussières qui se soulèvent à chaque passage d’une voiture. C’est une église de taille très modeste, reconnaissable de l’extérieur à sa croix posée sur le toit qui scintille lorsque le soleil a dépassé les montagnes du Tian Shan pour amorcer le déclin inexorable de la fin de journée. « C’est une ancienne maison qui a été aménagée », explique le prêtre jésuite et administrateur apostolique, Anthony Corcoran, tandis qu’il invite à entrer dans les lieux.
Origine allemande
A l’intérieur, on devine facilement comment l’endroit a été réaménagé. « Au début des années 80, un second étage a été ajouté », précise le jésuite. Ce sont des Allemands de la Volga, prisonniers de la Seconde Guerre mondiale et déportés par Staline qui en sont à l’origine.
Lorsqu’il s’agit du Kirghizistan, difficile de ne pas mentionner la Russie. Le pays traversé à 80% par des montagnes, a longtemps vécu sous la tutelle du géant russe. Jusqu’au XIXe siècle, le Kirghizistan est un territoire sur lequel s’établissent différents khanats. En 1862, le Tsar Alexandre II s’empare de la région. En 1936, le pays devient la République socialiste du Kirghizistan. « L’église de Bichkek a été la deuxième autorisée par les communistes dans l’espace soviétique », annonce-t-il.
Mais l’’Eglise catholique du Kirghizistan est maintenant à la charnière de son existence: le nombre de ses fidèles a sévèrement chuté depuis la fin de l’URSS et l’indépendance du pays. « Lorsque les frontières se sont ouvertes, plus de 10.000 catholiques descendants d’Allemands ont quitté le pays pour rejoindre l’Europe », relate le père Janez Michelcic. Désormais, chaque année, seulement une vingtaine de baptêmes sont célébrés. « Un chiffre stable », affirme Anthony Corcoran.
« Nous sommes perçus comme une secte »
L’Ecriture a dit: « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. Et nous aussi, qui avons le même esprit de foi, nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. » C’est par la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (4, 7-15) que le père Anthony Corcoran termine son homélie. La vingtaine de personnes présentes ce dimanche commencent à se disperser. Un peu plus tôt dans la matinée, une première cérémonie a eu lieu en anglais pour les expatriés.
« Je les admire », sourit le père Joseph Maciag qui a délaissé la paroisse de Lublin quelques semaines pour venir, en appui, exercer son sacerdoce au Kirghizistan. « Ce n’est pas comme en France ou en Pologne où être catholique relève d’une tradition. C’est un engagement profond et sincère, un acte de foi. »
Comme un écho à cette déclaration, voici Ludmila prête à aller ranger l’aumônerie. D’origine russe et juive, elle affirme vivre sa foi « librement ». Néanmoins, elle regrette les stéréotypes qui ont cours dans les mentalités locales. « Si l’on est d’origine russe, on ne peut être qu’orthodoxe. Si l’on est Kirghize, on ne peut être que musulman. Nous sommes perçus comme une secte. » « La plupart des gens ne savent pas qui est le pape », complète le jeune informaticien Anatoli, un fidèle de la messe en russe du dimanche matin. « Je viens d’une famille peu croyante. Quand je leur ai annoncé ma décision de me convertir, ils ont été très surpris. Ils m’ont posé beaucoup de questions, car comme la plupart des habitants d’ici, ils ne connaissent pas le catholicisme. »
« Nous ne sommes pas très connus », confirme le jésuite originaire du Texas. Le nombre de fidèles est estimé entre 500 et 1.000 personnes. Ils doivent surtout faire face à l’ignorance du reste du pays. « Parfois, je pense que je pourrais être dans une paroisse à New York où je compterais les fidèles par millier. Or, la Providence a eu un autre plan pour moi. Je suis prêtre au Kirghizistan. On pourrait croire que nous sommes seuls. Nous sommes en effet une petite communauté, mais elle est animée d’une ferveur, d’une telle foi que j’en viens à me dire que c’est trop beau pour être vrai. »

Vue de l’église Saint-Michel Kirghizistan
Une nouvelle église dans l’est du pays
Le père Rémi Remiginsi revient de Jalal-Abad. Sur son visage se lit la fatigue de près de dix heures de voyage sur des petites routes qui traversent de grandes montagnes aux sommets toujours plus élevés et infranchissables l’hiver. Pour le jésuite polonais, arrivé sept ans plus tôt, le message universel du Christ se heurte à un écueil culturel. « La population est encore marquée par une culture clanique issue du nomadisme. Devenir chrétien serait pris par les autres membres pour une trahison. » S’ajoute la barrière de la langue. Les prêtres parlent russe ce qui dans la capitale est monnaie courante, mais est nettement moins le cas à la campagne, où le kirghiz est pratiqué dans la majorité des foyers. L’évangélisation reste donc compliquée à mettre en place.
Toutefois, les bonnes nouvelles arrivent à se frayer un chemin malgré l’indifférence des sentiers qu’elles empruntent.
En octobre de l’année dernière, une nouvelle église toute de briques a été consacrée. Installée dans l’est du pays dans la commune de Talas. « Il s’agit de la première que nous construisons réellement. Jusqu’à présent ce sont des lieux que nous avions réaménagé comme à Bichkek », dévoile l’administrateur apostolique. Pour financer ce nouveau lieu de culte, la communauté catholique a pu compter sur l’aide de fidèles d’Allemagne et de Suisse et aussi d’organisations caritatives. La nouvelle église a été nommée du nom du saint patron helvétique saint Nicolas de Flüe. « Nous sommes dans les mains de Dieu, résume Anthony Corcoran. Ils nous guident dans notre mission apostolique. Quoi de mieux, de plus beau, que de fêter nos cinquante ans avec la consécration d’une nouvelle église? »
Guilherme RINGUENET
(texte et photos)
Légendes photo
- Le P.Anthony Corcoran sj est l’administrateur apostolique.
- L’église de Bichkek a été aménagée dans une ancienne maison