La chronique de Charles Delhez – L’illusion du meilleur des mondes


Partager
La chronique de Charles Delhez – L’illusion du meilleur des mondes
Par Charles Delhez
Chroniqueur
Publié le - Modifié le
3 min

Que sera donc l’après-coronavirus? Aurons-nous tenu compte des leçons de cette crise? Serons-nous enfin dans le meilleur des mondes? Utopie, sans doute, mais excellent idéal. Le problème, c’est quand on se croit déjà arrivé. Le célèbre Le meilleur des mondes de 1932 l’illustre à l’envi. Aldous Huxley semble sous bien des aspects y décrire notre civilisation actuelle, mais sans avoir prévu Internet! Ce roman n’est pas une comédie, mais une tragédie, puisqu’il se termine par un suicide. Relire ces pages nous invite à la vigilance et à la lucidité, car tout ne va pas si bien, Madame la Marquise!

Faisons donc un saut dans le futur. Le but de la société initiée par Ford – les années se comptent dorénavant après N.F., Notre Ford, et nous sommes déjà en 632 – pourrait se résumer par le confort ou son synonyme, la stabilité. A leur service, la consommation et les divertissements. Les Romains parlaient du pain et des jeux de cirque, aujourd’hui consommation et loisirs tentent de nous faire oublier le stress du travail et des embouteillages. Notre individualisme est devenu le déguisement de notre conformisme.

Conditionnés et prédestinés

Dans cette société mondiale, les enfants sont cultivés en éprouvettes dans des salles d’incubation. La maternité est devenue la plus horrible des choses, elle fait rougir dès qu’on en parle. La sexualité, elle, n’est plus que ludique et gare aux attachements sentimentaux! Ces futurs citoyens sont, durant des années, conditionnés jusque dans leurs valeurs morales par des procédés hypnotiques. Devenus adultes, ils correspondront parfaitement aux attentes de la classe pour laquelle ils ont été fabriqués.

Ce meilleur des mondes est en effet structuré en cinq classes sociales désignées par les premières lettres de l’alphabet grec, des Alphas – l’élite dirigeante – aux Epsilons, destinés aux travaux les plus pénibles. Chacun sera content de sa situation, même un Epsilon. Ainsi, la société fonctionnera-t-elle parfaitement et le monde sera stable. Chacun pourra être heureux, copie conforme de ce à quoi il était prédestiné. L’important n’est pas d’être soi, mais simplement une cellule du corps social. Tout désagrément n’est hélas pas éliminé. Il reste du stress, de la fatigue. Mais il y a le soma, une pilule qui fait oublier tout cela, un mixte de tranquillisant et d’hallucinogène. Il existe aussi des "succédanés" de grossesse ou de passion violente. La nature humaine a laissé des traces!

"Je veux Dieu"

"Nous préférons faire les choses en plein confort", explique sa Forderie Mustapha Meunier, un des dix administrateurs mondiaux. Il s’adresse à Monsieur le Sauvage, un homme attachant jusque dans ses excès. Il a été ramené d’une réserve dont les habitants vivent encore comme avant Notre Ford. "Mais je n’en veux pas, du confort, répond-il à l’Administrateur. Je veux Dieu, je veux la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché." Or, cette dictature inquisitoriale si bien déguisée ne veut pas en entendre parler. Il n’y a pas de place pour la remise en question, et donc pour la liberté. Le vrai, le beau et le bien, symbolisés par Bernard, Helmholtz et le Sauvage, sont ignorés, et même combattus. Ces trois héros seront exclus de la société.

Aldous Huxley savait-il qu’il voyait assez juste? Au fil des pages, on peut en effet reconnaître les débats, les dérives et les fantasmes de notre monde actuel. Au lecteur de vérifier. En refermant le livre, je me pose une question: en 2050, que serons-nous devenus? Quel livre aura-t-il le mieux prédit la société d’alors? Les romans de science-fiction abondent et de nombreux essais mettent en garde. Les uns parlent de transhumanisme tandis que d’autres envisagent un effondrement. De qui dira-t-on: "Il avait anticipé"? Nous sommes renvoyés à cette question fondamentale: Quel monde voulons-nous? Et son corolaire: comment l’anticipons-nous dans notre propre existence? Jésus, lui, a fait de sa vie une anticipation du Royaume qu’il espérait.

Charles DELHEZ

Catégorie : Chroniques

Dans la même catégorie